Stablecoins : les États-Unis adoptent le GENIUS Act, ce qu’il faut savoir

Le Sénat américain vient de franchir un cap historique pour les stablecoins. En adoptant le GENIUS Act, les États-Unis se dotent enfin d’un cadre fédéral structurant pour encadrer l’émission de tokens adossés au dollar.
C’est une étape majeure dans la structuration du marché des stablecoins. Mardi, le Sénat américain a adopté à une large majorité le GENIUS Act, un texte législatif destiné à poser les fondations d’un véritable cadre fédéral pour l’émission de stablecoins aux États-Unis.
Dans un contexte de croissance continue de ce marché (plus de 250 milliards de dollars de capitalisation et des volumes quotidiens dépassant ceux de Visa) l’adoption de cette loi marque un tournant réglementaire qui pourrait repositionner les États-Unis en tête de la course à l’infrastructure financière numérique.
Le texte, porté par une alliance transpartisane et soutenu par l’administration Trump, définit un statut juridique d’”émetteur autorisé de stablecoin de paiement”.
Seuls les établissements respectant une série de critères pourront désormais émettre des tokens adossés au dollar. Parmi eux : les banques assurées, leurs filiales ou encore des acteurs non bancaires qualifiés au niveau fédéral ou au niveau des États, à condition de respecter des exigences proches du cadre national.
Chaque jeton devra obligatoirement être garanti à 100 % par des actifs très liquides (dépôts en cash, soldes à la Fed ou bons du Trésor). Le texte interdit toute réhypothécation, et impose la publication mensuelle d’un rapport audité sur les réserves, ainsi qu’un audit indépendant annuel.
Objectif : imposer un niveau de transparence équivalent à celui du secteur bancaire traditionnel, tout en laissant une marge d’innovation aux acteurs émergents.
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La grosse avancée : un cadre fédéral à la place de multiples licences locales
Mais la grande révolution du GENIUS Act, c’est l’instauration d’un principe de préemption fédérale. Jusqu’à présent, les émetteurs de stablecoins devaient obtenir une licence dans chaque État où ils souhaitaient opérer, dans un système fragmenté de “money transmitter licenses”.
Le nouveau cadre met fin à cette complexité : un émetteur agréé au niveau fédéral pourra désormais offrir ses services à l’échelle nationale sans devoir se soumettre aux régulations locales.
Même les émetteurs licenciés au niveau d’un État pourront bénéficier d’un “passeport”pour exercer sur tout le territoire, à condition de ne pas dépasser un encours de 10 milliards de dollars et de démontrer que leur régime de supervision est “substantiellement similaire” à celui de l’OCC.
Pour les fintechs, c’est une simplification radicale du cadre opérationnel.
Capacité de bloquer tout stablecoin étranger
Le texte prévoit également un arsenal réglementaire conséquent pour garantir la conformité et la sécurité du système. Les émetteurs et leurs dépositaires devront pouvoir geler les fonds en cas d’injonction judiciaire. Le département du Trésor américain disposera de la capacité de bloquer tout stablecoin étranger qui ne répondrait pas aux critères définis par la loi.
Cette disposition vise notamment à reprendre le contrôle face à la domination de certains acteurs non américains, au premier rang desquels Tether (USDT), qui pèse à lui seul plus de 60 % du marché. Le GENIUS Act cherche à imposer un niveau de transparence que Tether, malgré ses efforts récents, ne garantit toujours pas totalement.
Autre nouveauté importante : les sanctions prévues en cas d’infraction sont très lourdes. L’émission non autorisée de stablecoins pourra être punie d’une amende allant jusqu’à 1 million de dollars par jour et de cinq ans d’emprisonnement. Une manière de signaler clairement que la période du flou juridique touche à sa fin, et que les “expérimentations” en marge du système bancaire seront désormais très encadrées.
L’industrie et Circle applaudissent
Sans surprise, l’industrie crypto a salué l’adoption du texte. Jeremy Allaire, CEO de Circle, y voit une avancée majeure pour l’adoption de l’USDC et une reconnaissance du rôle que les stablecoins peuvent jouer dans le système financier de demain.
Les marchés ont réagi positivement : les actions de sociétés exposées au secteur comme Circle, Coinbase ou Paxos ont connu un net regain d’intérêt. Certains gestionnaires de fonds ont d’ailleurs commencé à réallouer leurs portefeuilles en prévision d’une adoption réglementaire plus large.
Le texte offre en effet un cadre clair aux investisseurs institutionnels qui hésitaient encore à s’exposer à des actifs mal définis juridiquement.
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Le texte promulgué d’ici la fin de l’été
Le texte doit désormais être voté par la Chambre des représentants, où les Républicains sont majoritaires. Si le calendrier est respecté, le GENIUS Act pourrait être promulgué par Donald Trump avant la fin de l’été. Une hypothèse plausible, tant l’actuel président multiplie les signaux favorables à l’industrie crypto, entre soutien aux stablecoins, critiques de la SEC et volonté de renforcer le statut du dollar numérique.
Une incertitude demeure néanmoins : certains parlementaires souhaitent associer le GENIUS Act à un autre texte, le CLARITY Act, qui vise à restreindre les compétences de la SEC sur les crypto-actifs. Une manœuvre qui pourrait retarder l’adoption définitive du cadre.
Avec ce texte, les États-Unis se repositionnent clairement dans la bataille des monnaies numériques. À l’inverse de l’Europe, qui limite fortement l’usage des stablecoins libellés en euro via le règlement MiCA, Washington offre un cadre relativement souple, mais strict sur les fondamentaux : réserves garanties, transparence, gel des fonds en cas de besoin.
En creux, c’est une manière de renforcer le rôle du dollar sur les blockchains, alors même que l’Union européenne peine à promouvoir ses propres projets. Le risque est réel : si les États-Unis prennent de l’avance, l’euro pourrait devenir un actif marginal dans la future infrastructure financière tokenisée.
Au-delà des enjeux techniques, le GENIUS Act est donc un choix politique. En plaçant les stablecoins dans un cadre sécurisé, sans les tuer dans l’œuf, les États-Unis affirment leur ambition de dominer la prochaine génération des infrastructures monétaires. La régulation, loin de freiner l’innovation, devient ici un levier de puissance économique et géopolitique.
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Avant d’investir dans un produit, l’investisseur doit comprendre entièrement les risques et consulter ses propres conseillers juridiques, fiscaux, financiers et comptables.


