Bitcoin Treasury Companies : Panorama des leviers financiers à leur disposition

Quelles mécaniques financières permettent aux Bitcoin Treasury Companies de soutenir leur frénésie d’accumulation ? De la dette convertible aux actions privilégiées, tour d’horizon des instruments à leur disposition.
Portées par une conviction inébranlable quant à l’avenir du Bitcoin, certaines entreprises n’hésitent plus à en faire le cœur de leur stratégie financière. À commencer par Strategy – nouveau nom de MicroStrategy – pionnière et chef de file de cette approche radicale. La société américaine a déjà investi plus de 33 milliards de dollars dans l’actif numérique depuis 2020. Et elle ne compte pas s’arrêter là. Le 30 octobre 2024, elle a dévoilé un plan ambitieux baptisé “21/21” : lever 42 milliards de dollars sur trois ans pour financer sa croissance, principalement via l’achat massif de bitcoins.
Ce modèle de “Bitcoin Treasury Company”, dont Strategy s’est fait le chantre aux États-Unis, fait des émules à travers le monde. Au Japon, Metaplanet s’est fixé pour objectif de détenir 10 000 bitcoins d’ici fin 2025, et 21 000 à l’horizon 2026. En Europe, The Blockchain Group a récemment marqué les esprits avec une levée de fonds inédite de 46,8 millions d’euros… entièrement libellée en bitcoins.
Chez les précurseurs, l’entrée dans l’univers Bitcoin commence souvent par une réallocation de la trésorerie existante. Plutôt que de laisser dormir leurs liquidités sur des actifs traditionnels à faible rendement, certaines entreprises optent pour une stratégie plus offensive : convertir une part de leurs réserves en BTC.
C’était le chemin emprunté par Strategy au début de son programme. Entre août et décembre, l’entreprise de logiciels a acquis plus de 40 000 bitcoins pour un montant de 475 millions de dollars, en mobilisant les bénéfices issus de son activité principale. Forte de trente ans d’expertise dans l’informatique décisionnelle, elle a rapidement su faire de sa rentabilité un tremplin vers l’écosystème crypto.
Mais toutes les Bitcoin Treasury Companies ne disposent pas d’une telle assise. Nombre d’entre elles sont des structures émergentes, voire des véhicules créés ex nihilo pour piloter une stratégie d’accumulation.
Sans cash-flow récurrent, elles doivent s’appuyer sur des instruments financiers alternatifs : levées de fonds en capital, obligations indexées sur le Bitcoin, partenariats stratégiques…
Autant de mécaniques pour amorcer et pérenniser une dynamique inédite, à la croisée de la finance traditionnelle et de l’économie numérique.
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Obligations : l’outil de prédilection pour financer l’accumulation de Bitcoin
Parmi les outils financiers à la disposition des Bitcoin Treasury Companies, les obligations s’imposent aujourd’hui comme l’un des instruments les plus plébiscités. Qu’il s’agisse de dettes simples, sécurisées ou convertibles, ces titres permettent de lever des capitaux considérables, souvent auprès d’investisseurs institutionnels, tout en laissant à l’entreprise une précieuse marge de manœuvre stratégique.
Côté investisseurs, ces obligations offrent plusieurs atouts. Leur liquidité — car elles peuvent être revendues sur les marchés secondaires — en fait des instruments moins risqués qu’un prêt direct ou une prise de participation en capital. S’y ajoute une souplesse contractuelle appréciable : modalités de remboursement, taux d’intérêt, garanties exigées… autant d’éléments ajustables selon le profil de l’émetteur, les conditions de marché, ou encore l’appétit pour le risque.
Dans cet environnement, trois grandes familles d’obligations émergent comme les piliers de la stratégie de financement des entreprises tournées vers le Bitcoin.
👉 Les obligations simples : un levier tactique, mais coûteux
Longtemps jugées peu adaptées aux stratégies financières de long terme, les obligations d’entreprise dites « simples » conservent néanmoins une place dans l’arsenal des Bitcoin Treasury Companies. Ces titres de dette traditionnels, remboursables exclusivement en numéraire à échéance, sont parfois utilisés à des fins très ciblées.
Dans un contexte de taux d’intérêt encore élevés, leur principal défaut saute aux yeux : un coût de financement qui peut grever la rentabilité de l’opération sur la durée. Raison pour laquelle elles sont rarement privilégiées pour soutenir une stratégie d’accumulation massive de bitcoins.
Mais certaines entreprises les mobilisent de manière tactique. L’émission d’obligations simples peut faire office de ballon d’essai, en amont d’une opération plus ambitieuse, comme une levée en obligations convertibles. Elle permet de tester l’appétit des investisseurs, tout en répondant à un besoin de trésorerie immédiat.
Cette approche offre aussi un avantage stratégique : patienter jusqu’à l’émergence de conditions de marché plus favorables — taux d’intérêt en baisse, valorisation boursière plus attractive — pour enclencher une levée de fonds plus structurée, potentiellement moins dilutive.
👉 Obligations sécurisées : l’équilibre entre confiance et contrôle
À mi-chemin entre les obligations classiques et les emprunts collatéralisés (voir ci-dessous), les obligations sécurisées gagnent du terrain auprès des entreprises crypto-friendly à la recherche de conditions de financement plus avantageuses. En adossant ces titres à des actifs — financiers ou numériques — les émetteurs parviennent à rassurer les investisseurs, à négocier des taux d’intérêt plus faibles et, parfois, à étendre la maturité de la dette.
Pour les créanciers, le cadre est sécurisant. En cas de défaut, les actifs mis en garantie peuvent être saisis, limitant le risque de perte. Ce niveau de protection justifie une rémunération plus modérée. Autre avantage : la liquidité de ces titres, qui permet aux investisseurs de sortir de leur position sur le marché secondaire, si nécessaire.
Mais cette relative sécurité a un coût pour l’émetteur. Les actifs mobilisés en garantie sont gelés pendant la durée du prêt, exposant l’entreprise à un risque de liquidation forcée en cas de turbulences financières.
Pour renforcer leur attractivité, certaines de ces obligations sont également structurées avec une clause de priorité de remboursement. En cas de faillite, les détenteurs de ces titres passent en tête de file. Un argument décisif pour séduire les investisseurs les plus prudents.
👉 Obligations convertibles : l’arme favorite des entreprises pro-Bitcoin
Parmi les outils financiers les plus prisés des entreprises qui font du Bitcoin leur principal levier stratégique, les obligations convertibles occupent une place à part. Souvent désignées sous le nom de convertible notes, ces obligations hybrides offrent un double avantage : à l’échéance, les investisseurs peuvent choisir entre un remboursement en cash ou une conversion en actions de la société.
Le principe est simple. Lors de l’émission, un prix de référence est fixé. Si le cours de l’action dépasse ce seuil, l’investisseur peut convertir sa créance en titres, à des conditions avantageuses, et potentiellement réaliser une forte plus-value. En contrepartie de cette option, les créanciers acceptent des taux d’intérêt souvent très bas, voire symboliques, ce qui rend le financement peu coûteux pour l’entreprise.
Autre avantage majeur : en cas de conversion, aucun décaissement n’est requis, ce qui permet à l’entreprise de préserver sa trésorerie. Un atout de taille pour les structures qui cherchent à maximiser leur exposition au Bitcoin sans entamer leur capacité financière à court terme.
Mais l’outil n’est pas sans contrepartie. Si les capitaux levés sont mal alloués — par exemple utilisés pour couvrir des charges fixes ou refinancer de la dette existante — et qu’ils ne contribuent pas à améliorer le BTC yield (la croissance du nombre de bitcoins par action), les investisseurs peuvent douter de la pertinence du modèle. Dans un marché aussi volatil que celui du Bitcoin, la confiance des marchés reste une matière première aussi stratégique que fragile.
👉 The Blockchain Group inaugure les obligations libellées en Bitcoin
C’est une opération inédite dans le monde de la finance : The Blockchain Group a levé environ 48,6 millions d’euros via une émission d’obligations convertibles… majoritairement libellées en Bitcoin. Plutôt que de collecter des euros pour ensuite acheter des bitcoins, le groupe européen a fait le choix d’emprunter directement l’actif numérique. À l’échéance des titres, la société devra soit restituer les bitcoins empruntés, soit émettre de nouvelles actions au prix unitaire de 0,544 €.
Cette innovation marque une première mondiale pour une entreprise cotée et pourrait bien ouvrir la voie à une nouvelle classe d’instruments financiers. En supprimant l’étape de conversion entre fiat et crypto, ce type d’émission facilite l’accumulation directe de bitcoins. Mais surtout, il modifie profondément la répartition du risque : en cas de chute prolongée du cours du Bitcoin, c’est l’investisseur – et non l’émetteur – qui supporte l’essentiel de la volatilité. Si le prix du BTC reste bas à maturité, The Blockchain Group pourra se contenter de rendre les mêmes bitcoins empruntés, sans devoir liquider d’autres actifs, contrairement à ce que nécessiterait une obligation classique en monnaie fiduciaire.
Un précédent qui pourrait inspirer d’autres acteurs, dans un contexte où l’institutionnalisation progressive de Bitcoin pousse les entreprises à explorer de nouveaux outils de financement.
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Financer sa stratégie Bitcoin par la vente d’actions : un levier à double tranchant
Pour se financer sans s’endetter, de nombreuses Bitcoin Treasury Companies misent sur une méthode simple et directe : l’émission de nouvelles actions. Un choix stratégique pour éviter le poids des intérêts, le risque de défaut ou encore l’incertitude liée à la conversion de dettes en actions. Mais cette solution n’est pas sans contrepartie.
En effet, contrairement aux obligations convertibles, ces levées de fonds par augmentation de capital diluent plus rapidement les actionnaires existants. Elles doivent donc impérativement générer un rendement sur le Bitcoin détenu (BTC yield) supérieur à ce qu’un investisseur pourrait obtenir en détenant directement du BTC. À défaut, les actionnaires supportent une double peine : une perte relative sur la valeur de leur participation et un coût d’opportunité évident.
Plusieurs mécanismes sont utilisés pour mener ces opérations :
👉Les offres de vente d’actions
Dans ce cas, l’entreprise émet de nouvelles actions qu’elle écoule d’un bloc, soit via une offre publique (public offering), soit dans le cadre d’un placement privé à destination d’investisseurs institutionnels. Ces opérations, souvent menées en réponse à un besoin immédiat de liquidités, ont l’inconvénient d’introduire une dilution brutale pour les actionnaires existants, ainsi qu’une pression vendeuse accrue sur le titre à court terme.
👉 Les ventes “at-the-market” : un outil de financement souple, mais potentiellement dilutif
Populaires aux États-Unis, les ventes “at-the-market” (ou ATM sales) constituent un mécanisme de financement progressif pour les sociétés cotées. Le principe est simple : plutôt que de lever des fonds en une seule fois, l’entreprise émet de nouvelles actions au fil de l’eau, en fonction des conditions de marché, via des brokers partenaires.
Ce mode opératoire présente plusieurs avantages. Il est moins brutal pour le marché qu’une levée de fonds traditionnelle, souvent perçue comme dilutive. En étalant les émissions dans le temps, la société évite une chute soudaine de son cours. Mais cette relative discrétion a un revers : elle maintient une pression vendeuse latente, susceptible de dissuader certains investisseurs institutionnels ou particuliers, rebutés par le manque de visibilité.
L’intérêt stratégique des ventes ATM est particulièrement saillant en période d’euphorie boursière. Lorsque le cours de l’action flambe bien au-delà de la valeur intrinsèque de l’entreprise – un phénomène courant pour les sociétés détenant massivement du bitcoin –, ces ventes permettent de corriger le tir. En injectant progressivement de nouvelles actions sur le marché, la société réduit mécaniquement son premium tout en renforçant sa trésorerie, souvent dans le but d’accroître encore ses réserves de BTC.
Hors des États-Unis, ce type de flexibilité reste plus limité. En Europe et en Asie, les entreprises doivent se tourner vers d’autres instruments – options sur actions, bons de souscription (BSA), ou droits d’acquisition d’actions. Moins agiles que les ventes ATM, ces outils permettent néanmoins de structurer des levées de fonds échelonnées, grâce à des droits d’émission activables sur des périodes définies.
👉 Les actions privilégiées, ou Preferred Stocks
Strategy ajoute une nouvelle corde à son arc pour financer sa stratégie d’accumulation de bitcoins : les actions privilégiées. L’entreprise de Michael Saylor a récemment lancé deux nouveaux titres financiers, STRK et STRF, qui s’éloignent du modèle classique des actions ordinaires, tout en ouvrant la porte à une nouvelle catégorie d’investisseurs, plus institutionnels et plus averses au risque.
Contrairement aux actions classiques de type MSTR, qui donnent accès à des droits de vote, à une part du capital et à une exposition directe à la volatilité du marché, les actions privilégiées offrent un rendement fixe et des garanties contractuelles. STRK, introduite en 2024, ne confère pas de droit de vote, mais permet à ses détenteurs de percevoir un dividende annuel de 8 %, versé trimestriellement en cash ou en MSTR, sous réserve de l’approbation du conseil d’administration. Ces dividendes sont cumulatifs : en cas de non-paiement, ils s’accumulent et restent dus. Chaque action STRK est par ailleurs convertible en 10 actions MSTR, à condition que le cours de MSTR dépasse les 1 000 dollars. En cas de liquidation de l’entreprise, STRK est remboursée à hauteur de 100 dollars, une clause inscrite dans le contrat qui positionne ce titre entre une obligation convertible et une action ordinaire en termes de priorité.
STRF, annoncée le 18 mars 2025, reprend la même logique que STRK avec quelques différences majeures. Elle offre un rendement annuel plus élevé, de 10 %, mais exclusivement versé en cash. Elle bénéficie également d’un rang supérieur à STRK dans la hiérarchie des créanciers, ce qui renforce ses garanties. En revanche, elle ne prévoit aucune possibilité de conversion en MSTR ou en STRK, ce qui en fait un pur produit de rendement, sans exposition au capital.
Ces titres hybrides, à mi-chemin entre actions et obligations, ont pour objectif d’élargir la base d’investisseurs de Strategy, en particulier vers des profils institutionnels. Avec un rendement fixe et une valeur de remboursement garantie, ils offrent une alternative attrayante à ceux qui souhaitent s’exposer à la stratégie bitcoin de Michael Saylor sans en subir la volatilité. Strategy prévoit notamment de lever jusqu’à 21 milliards de dollars via des ventes « ATM » uniquement avec le titre STRK.
Pour Strategy, l’enjeu est double : continuer à financer l’achat de bitcoins sans diluer immédiatement les actionnaires de MSTR, et gagner du temps avant une éventuelle conversion massive des actions préférentielles. Si les dividendes de STRK peuvent être réglés en actions MSTR, la conversion totale en actions ordinaires ne se fera que si le cours dépasse le seuil symbolique des 1 000 dollars, ce qui limite la pression dilutive à court terme.
Cette ingénierie financière a toutefois un revers. En multipliant les instruments financiers – actions ordinaires, obligations convertibles, STRK, STRF – Strategy complexifie une structure capitalistique déjà peu lisible pour nombre d’investisseurs. Elle renforce aussi sa dépendance à des engagements de trésorerie fixes, notamment pour les dividendes en cash de STRF, tout en segmentant davantage ses ressources disponibles.
Ces actions privilégiées apparaissent ainsi comme un nouvel outil dans le dispositif de Michael Saylor : elles lui permettent de continuer à acheter massivement du bitcoin, tout en rassurant les investisseurs les plus prudents. Mais elles ajoutent aussi une couche de complexité et de risque à une entreprise dont la structure financière ne cesse de s’éloigner des standards traditionnels.

Emprunts collatéralisés : un outil peu adapté à une stratégie long terme
Souvent associé à l’écosystème DeFi, l’emprunt collatéralisé apparaît dans l’imaginaire collectif comme un levier évident pour financer l’accumulation de bitcoins. En pratique, pourtant, cet instrument reste marginal dans la stratégie des Bitcoin Treasury Companies.
Le principe est simple : obtenir un financement en mettant un actif en garantie – ici, du Bitcoin – auprès d’une banque ou d’un établissement spécialisé. C’est la voie qu’avait choisie Michael Saylor en 2022, lorsqu’il avait contracté un prêt de 205 millions de dollars auprès de Silvergate Bank. Pour sécuriser ce financement, l’entrepreneur avait déposé quelque 820 millions de dollars en BTC en collatéral, avec un taux d’intérêt de 3,75 %.
Cette opération permettait de lever rapidement des fonds sans diluer le capital de l’entreprise, un choix stratégique pour préserver la valeur actionnariale. Théoriquement, une appréciation du bitcoin aurait même pu permettre de rembourser l’emprunt tout en générant une plus-value significative.
Mais le timing fut défavorable : le marché entrait en zone de turbulence, amorçant un bear market brutal. La chute du cours du Bitcoin a exposé les failles de ce mécanisme. Le ratio prêt/valeur (LTV) particulièrement conservateur – seulement 25 % dans le cas de Strategy – obligeait l’entreprise à mobiliser massivement ses réserves pour garantir le prêt. Après l’effondrement de FTX en novembre 2022, la firme a dû injecter des bitcoins supplémentaires pour faire face à un appel de marge, mettant en lumière la fragilité d’un tel montage dans un contexte de forte volatilité.
Si le prêt collatéralisé offre une solution sans dilution du capital, il s’avère peu pertinent pour une stratégie patrimoniale de long terme. Il impose des garanties élevées, des taux d’intérêt significatifs, et surtout, une exposition au risque de liquidation en cas de baisse de marché. Un luxe que peu de Bitcoin Treasuries peuvent se permettre.
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Avant d’investir dans un produit, l’investisseur doit comprendre entièrement les risques et consulter ses propres conseillers juridiques, fiscaux, financiers et comptables.


