Fee Switch dans la DeFi : Entre révolution économique et mirage marketing

Fee Switch dans la DeFi : Entre révolution économique et mirage marketing

Longtemps cantonné à quelques expérimentations, le Fee Switch s’impose aujourd’hui comme un levier clé dans la DeFi. Redistribution des revenus, nouveaux modèles d’incitation, risques réglementaires : tour d’horizon d’une mécanique en pleine explosion.

Pendant des années, les tokens de gouvernance n’offraient que des droits de vote, sans réel retour financier pour leurs détenteurs. Avec l’essor du Fee Switch, une nouvelle ère s’ouvre : celle où les utilisateurs peuvent capter une part des revenus générés par les protocoles eux-mêmes.

Concept technique il y a encore peu, il devient un enjeu stratégique majeur pour la DeFi. Comment fonctionne ce mécanisme ? Pourquoi séduit-il de plus en plus de projets ? Et quelles sont ses limites ? Décryptage.

Fee Switch : définition, utilité, mise en place et régulation

Qu’est-ce qu’un Fee Switch, et à quoi sert-il ?

Concept encore émergent il y a deux ans, le Fee Switch s’impose aujourd’hui dans l’écosystème de la finance décentralisée (DeFi).

Son principe est simple : redistribuer une partie des frais de transaction générés par un protocole aux détenteurs de son token natif, ou par d’autres mécanismes selon la stratégie définie.

Chaque interaction sur un protocole DeFi — qu’il s’agisse d’un bridge, d’une plateforme de prêts, ou d’un échange de tokens sur une DEX (Decentralized Exchange) — génère des frais.

Avec un Fee Switch activé, une fraction de ces revenus est collectée puis reversée aux détenteurs du token de gouvernance du projet. Concrètement, un utilisateur détenant le token X en staking pourrait recevoir, en contrepartie, une part des revenus de la plateforme.

De quoi offrir aux participants un nouveau modèle d’incitation, à la fois plus vertueux et potentiellement plus attractif que les programmes classiques de farming ou d’incentives ponctuels.

Quel est le processus d’activation d’un Fee Switch ?

La mise en place d’un Fee Switch passe généralement par un vote de gouvernance au sein de la DAO du projet. Une majorité de voix favorables est indispensable, parfois assortie d’un quorum minimum de participation.

Le simple dépôt d’une telle proposition peut suffire à faire flamber le prix du token concerné, comme l’ont récemment montré les exemples d’Uniswap et d’Aave.

Trois grands schémas de redistribution existent :

  • Buyback and burn : utilisation des revenus générés pour racheter de tokens de gouvernance sur le marché dans le but de les détruire, réduisant l’offre disponible.
  • Buyback and redistribute : utilisation des revenus générés pour racheter de tokens de gouvernance sur le marché, puis redistribution aux stakers.
  • Distribution directe : redistribution aux stakers d’une partie des frais directement en stablecoins ou autres actifs.

Ces mécanismes sont loin d’être figés. Une DAO peut toujours les ajuster par de nouveaux votes pour affiner, suspendre ou améliorer la politique de redistribution.

Que dit la réglementation à ce sujet ?

Longtemps perçu comme un risque majeur, le cadre réglementaire entourant le Fee Switch, notamment aux États-Unis, semble évoluer.

Distribuer une part des revenus à des détenteurs de tokens pouvait, jusqu’à récemment, être interprété par la Securities and Exchange Commission (SEC) comme une distribution de profits à des investisseurs passifs.

Cela exposait les projets à une requalification de leurs tokens en titres financiers (securities), avec toutes les obligations qui en découlent : enregistrement auprès du régulateur, exigences de reporting, et restrictions de diffusion.

Dans un tel scénario, l’ensemble du modèle DeFi — fondé sur la décentralisation et l’absence d’intermédiaires — risquait d’être remis en cause.

Mais depuis le changement d’administration américaine, la SEC semble infléchir sa position. L’abandon récent de poursuites contre Uniswap Labs constitue un signal fort (voir le billet de blog d’Uniswap) : un climat réglementaire plus favorable semble se dessiner, au moins pour les protocoles réellement décentralisés.

Reste un autre écueil : la fiscalité. Recevoir des revenus sous forme de tokens ou de stablecoins peut avoir des implications fiscales variables et complexes selon les juridictions, un enjeu que les utilisateurs comme les protocoles devront apprendre à gérer. À ce jour, rien n’a été arrêté à ce sujet.

Les enseignements des projets pionniers

Alors que le concept suscite l’enthousiasme, certains protocoles sont déjà passés à l’action, offrant des retours d’expérience concrets sur l’impact d’un Fee Switch.

Usual : 100 % des revenus redistribués

En janvier 2025, l’émetteur de stablecoins décentralisé Usual a annoncé l’activation de son Revenue Switch, un mécanisme inédit dans l’écosystème.

Depuis le 13 janvier 2025, 100 % des revenus mensuels du protocole sont redistribués aux stakers de USUALx sur une base hebdomadaire. C’est inédit dans une telle proportion.

Pour être éligibles, les tokens doivent être stakés pendant toute la durée d’une epoch. Actuellement, ce mécanisme génère environ 700 000 dollars par semaine, soit près de 2,8 millions de dollars par mois, versés en USD0, le stablecoin du projet.

Sur les deux premiers mois, 7,2 millions de dollars ont été distribués.

Le mécanisme est d’autant plus intéressant que, malgré l’inflation programmée du token USUAL, les récompenses en USUALx viennent compenser cette dilution. Chaque jour, 10 % des émissions de nouveaux tokens sont redistribuées aux stakers, ce qui augmente mécaniquement la valeur de leurs positions.

Depuis le lancement, cependant, une baisse progressive des rewards a été observée : de 1,25 million de dollars la première semaine à 700 000 dollars récemment.

Le modèle est encore jeune et son efficacité sur le long terme reste à valider. Mais il offre déjà un rendement stable dans un marché où l’incertitude reste la norme.

>> Usual : Deux mois après sa polémique communautaire, où en est le projet ?

>> L’analyse fondamentale d’Usual

Etherfi : un Fee Switch pour fidéliser les stakers

Déjà innovant avec son programme de Buyback de LP tokens, le leader du restaking liquide Etherfi a franchi une étape supplémentaire en décembre 2024 en adoptant un Fee Switch.

Chaque mois, 5 % des revenus générés sont utilisés pour acheter du ETHFI sur le marché, tokens qui sont ensuite redistribués aux stakers.

Pour en bénéficier, les participants doivent conserver leurs tokens en staking pendant au moins un mois.

Quelques chiffres :

  • Décembre 2024 : 3,6 millions de dollars de revenus → 180 000 $ d’achats d’ETHFI.
  • Janvier 2025 : 3,1 millions de dollars de revenus → 155 000 $ d’achats.

Cela correspondait à un APR mensuel oscillant entre 0,65 % et 1,05 %, pour un APR annualisé compris entre 7 % et 13 % selon la quantité d’ETHFI stakée.

Un modèle attractif mais exposé aux risques de volatilité : puisque la redistribution s’effectue en token natif, les stakers restent sensibles aux fluctuations du prix de l’ETHFI.

>> Lire l’analyse fondamentale d’EtherFi

Jupiter : l’approche via le JLP

Depuis 2023, le principal DEX de Solana, Jupiter, propose une solution originale avec son JLP Vault, basé sur un mécanisme de Fee Switch appliqué à ses produits de trading à effet de levier (perps).

Le Jupiter Liquidity Provider (JLP) Pool agit comme contrepartie face aux traders, en échangeant sa liquidité contre une part des frais.

75 % des frais de trading générés sont ainsi redistribués aux détenteurs du JLP, qui est composé d’un panier d’actifs diversifiés (SOL, BTC, ETH, USDC, USDT).

La valeur du JLP augmente mécaniquement au fil des frais collectés. Et si les actifs sous-jacents (comme SOL, BTC ou ETH) s’apprécient, la valeur du JLP s’envole également — ce qui en fait un véhicule hybride combinant rendements en frais et exposition au marché crypto.

En parallèle, Jupiter a lancé un programme de rachat de son token de gouvernance JUP, finançant les buybacks à hauteur de 50 % des frais de protocole.

Un modèle que d’autres projets comme DYDX ou GMX adoptent aussi, chacun avec des variantes spécifiques.

>> Lire l’analyse fondamentale de Solana

>> Solana et les memecoins : enquête sur une dépendance toxique

Où en sont les géants de la DeFi ?

Si plusieurs projets ont déjà activé un Fee Switch, d’autres — parfois parmi les plus emblématiques de la DeFi — s’apprêtent à franchir le pas. Voici ceux à suivre de près.

Uniswap : la décision la plus attendue

Uniswap reste l’un des projets les plus scrutés en matière de Fee Switch.

À ce jour, le mécanisme n’a pas été activé : 100 % des frais de swap sont captés par les fournisseurs de liquidité (LPs), sans revenu direct pour la DAO.

Un changement de modèle est pourtant envisageable.

En 2024, Uniswap a généré près de 950 millions de dollars de frais selon DefiLlama, ce qui donne un potentiel énorme pour une redistribution future.

En activant le Fee Switch, une part de ces frais pourrait être détournée vers les détenteurs de UNI participant au staking.

Plusieurs simulations permettent d’estimer des APR différents, selon :

  • Le pourcentage de frais redirigés vers les stakers (1 % à 5 %)
  • La part de la capitalisation de marché stakée
  • La valorisation totale du token (entre 1,5 et 7 milliards de dollars).

Des tableaux prospectifs montrent ainsi des rendements allant de 1 % à plus de 10 % par an pour les stakers selon les hypothèses retenues.

Pour un MarketCap de 1,5 milliard de dollars :

Tableau illustrant le rendement annualisé en fonction du pourcentage de Market Cap staké et du pourcentage de Fee Switch.

Pour un MarketCap de 3,5 milliard de dollars :

Tableau illustrant le rendement annualisé en fonction du pourcentage de Market Cap staké et du pourcentage de Fee Switch.

Pour un MarketCap de 7 milliard de dollars :

Tableau illustrant le rendement annualisé en fonction du pourcentage de Market Cap staké et du pourcentage de Fee Switch.

Attention toutefois : ces projections restent théoriques.

La gouvernance pourrait choisir un modèle partiel, en activant le Fee Switch uniquement sur certaines pools à fort volume (ex : ETH/USDC), ou en appliquant une taxe minimale sur les LPs pour éviter une fuite de liquidité vers des DEX concurrentes.

En tout état de cause, le débat reste ouvert : si le switch favorise les détenteurs de UNI, les fournisseurs de liquidité pourraient en sortir perdants.

>> Uniswap, Aave, Sky : Quelles stratégies pour les "OG de la DeFi" ?

Aave : cap sur les Aavenomics

Du côté d’Aave, la marche vers un modèle de redistribution est déjà amorcée.

Le 4 mars 2025, Marc Zeller (qui dirige la principale organisation de délégation de votes ACI) a présenté une nouvelle proposition de gouvernance détaillant la première phase des Aavenomics.

Le protocole prévoit d’utiliser 1 million de dollars par semaine pour racheter du token AAVE et le redistribuer aux stakers.

Cette initiative, validée par la communauté, vise à aligner durablement les intérêts des participants avec ceux du protocole.

Plusieurs projections ont été réalisées en fonction de la valorisation du token et du pourcentage d’AAVE en staking.

Selon ces simulations, les APR pourraient varier significativement, mais dans tous les cas, le rendement serait largement supérieur aux standards actuels du staking classique.

Tableau représentatif de l’APR en fonction du MarketCap
Tableau représentatif de l’APR en fonction du MarketCap et d’un montant d’achat différent
Tableau représentatif en fonction du marketCap et sur le % du total de token AAVE en staking

Là encore, la dynamique de marché, la volatilité du token AAVE, et la part de staking actif détermineront en grande partie la réussite de l’opération.

>> Le fee switch arrive sur Aave : combien les stakers peuvent-ils gagner ?

Ethena : une activation sous conditions

Le protocole Ethena, émetteur du stablecoin synthétique USDe, a validé une proposition de Fee Switch en novembre 2024, à l’initiative du market maker Wintermute.

Cependant, son activation reste conditionnée au respect de cinq critères stratégiques :

  • 6 milliards d’USDe en circulation (non atteint à ce jour),
  • 250 millions de dollars de revenus cumulés (objectif atteint),
  • Un fonds de réserve supérieur à l’offre d’USDe (atteint),
  • Un spread APY entre produits supérieurs à 5 % (non atteint),
  • Une intégration avec Binance et OKX (en cours).

Pour l’instant, le Fee Switch n’est donc pas encore actif.

Mais les perspectives sont prometteuses : Ethena génère environ 50 millions de dollars de revenus mensuels aujourd’hui, selon Dune Analytics.

En fonction du pourcentage de revenus effectivement distribué via le Fee Switch, les APR théoriques pourraient aller de quelques pourcents à plus de 10 % par an, selon les simulations réalisées.

>> Lire l’analyse fondamentale d’Ethena

LayerZero : la bataille du quorum

LayerZero, acteur clé des solutions d’interopérabilité blockchain, a également proposé un Fee Switch en décembre 2024.

Le projet prévoyait de soumettre tous les six mois un vote communautaire pour activer, ajuster ou désactiver les frais de protocole.

Les revenus générés par les frais de message seraient ensuite utilisés pour acheter et brûler le token natif ZRO.

Lors du premier vote, 96 % des suffrages exprimés se sont prononcés en faveur de l’activation.

Problème : seulement 11 % des tokens ont participé au scrutin, bien loin du quorum de 66 millions exigé.

Un nouveau vote est prévu pour juin 2025. Si le quorum est atteint cette fois-ci, LayerZero pourrait mettre en place un programme de buyback annuel évalué à environ 12 à 13 millions de dollars, sur la base de ses revenus actuels.

Un montant modeste à l’échelle du projet, mais un premier pas important pour renforcer la valeur du token sur le long terme.

>> Interopérabilité : défis et solutions pour un écosystème décentralisé unifié

Fee Switch : vraie révolution ou simple effet marketing ?

Avec l’émergence du Fee Switch, de nombreux projets tentent d’apporter une nouvelle utilité tangible à leur token.

Pendant des années, la majorité des tokens DeFi ne conféraient aux détenteurs qu’un droit de vote dans les instances de gouvernance, sans aucune perspective directe de rendement financier.

Le Fee Switch change la donne en instaurant une distribution directe d’une partie des revenus générés par le protocole.

Cette innovation traduit aussi un engagement plus fort de la part des équipes de développement et des DAOs, dans une logique de création de valeur pérenne.

À travers des mécanismes variés — redistribution, buyback and burn, versement en stablecoins — les protocoles offrent désormais à leurs utilisateurs un accès direct aux flux économiques internes.

Mais attention aux mirages

Cependant, tout projet n’est pas en capacité d’activer un Fee Switch.

Dans bien des cas, les revenus générés par le protocole sont insuffisants pour assurer sa propre viabilité, sans même parler de redistributions aux utilisateurs. Pour ces projets, activer un Fee Switch serait une promesse creuse, voire un signal inquiétant sur leur modèle économique.

Par ailleurs, il ne faut pas surestimer l’impact immédiat d’une telle activation.

À court terme, l’annonce d’un Fee Switch a bien souvent un effet spéculatif sur le prix du token.

Des exemples récents, comme ceux d’Uniswap et d’Aave, montrent que le simple vote ou dépôt d’une proposition peut provoquer une flambée temporaire des cours.

Mais à moyen et long terme, l’effet est beaucoup plus incertain.

Un Fee Switch mal calibré, distribuant une part marginale des revenus ou mal aligné avec les intérêts des utilisateurs clés (par exemple les fournisseurs de liquidité sur Uniswap), pourrait même affaiblir l’attractivité du protocole.

Chaque modèle, chaque projet, chaque mécanique est unique

Il est crucial d’analyser en profondeur :

  • Comment les revenus sont-ils redistribués ?
  • Quelle proportion du total des revenus est réellement partagée ?
  • Comment évoluent les flux financiers du protocole au fil du temps ?
  • Quelle est la volatilité du token utilisé pour la distribution ?

Un Fee Switch bien structuré et soutenu par des revenus solides est sans aucun doute un atout majeur pour la pérennité d’un projet.

Mais investir uniquement sur la base de l’activation d’un Fee Switch serait une erreur.

Aujourd’hui, aucun consensus n’émerge encore sur le meilleur modèle :

Buyback & burn, distribution en stablecoins, rachat et redistribution aux stakers…

Chaque approche possède ses avantages et ses limites, et son efficacité dépend étroitement de la structure du projet et de son modèle économique.

Le Fee Switch reste donc une mécanique d’avenir pour la DeFi, mais il doit être évalué au cas par cas.

Bien exécuté, il peut apporter stabilité, attractivité et alignement.

Mal conçu, il risque de n’être qu’un levier marketing éphémère.

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