Réglementation de la DeFi : quel cadre et quel calendrier en Europe ?

Alors que MiCA entrera pleinement en vigueur dès janvier prochain, le règlement européen promet d'exclure la finance décentralisée (DeFi) de son champ d'application. Mais pour combien de temps encore ? Si certaines associations crypto craignaient une régulation rapide, la tendance à Bruxelles semble désormais à un peu plus d'attentisme.
MiCA n'était même pas encore voté que Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, appelait déjà en juin 2022 à une seconde mouture du texte européen. Ce nouveau texte viserait à harmoniser les règles relatives aux crypto-actifs entre les pays membres de l'Union européenne, mais cette fois-ci pour la finance décentralisée (DeFi).
La DeFi est un terme générique désignant les services financiers de pair à pair (P2P) - sans intermédiaire - sur les blockchains publiques.
"MiCA a été conçu pour réguler les intermédiaires centralisés, comme les plateformes d'échange, afin de les obliger à adopter des structures réglementaires proches de celles des institutions financières traditionnelles", explique Sébastien Praicheux, avocat associé chez Norton Rose Fulbright. Il précise : "La DeFi a été exclue du champ de MiCA pour ne pas freiner brutalement l'innovation".
Alors que le texte s'apprête à entrer en application le 1er janvier prochain (avec une période transitoire de 18 mois pour les acteurs déjà enregistrés), de nombreux points restent très flous. Notamment celui de la "décentralisation" des entreprises et projets — une question cruciale puisqu'elle doit permettre de déterminer si une entreprise échappe justement à MiCA (Markets in Crypto-Assets) en bénéficiant de "l'exemption DeFi".
Cette situation est d'autant plus préoccupante qu'il n'existe actuellement presque aucune documentation officielle sur le sujet, et donc pas de définition juridique claire de la décentralisation. Cela fait craindre de potentielles mauvaises surprises pour de nombreux acteurs.
Les interfaces DeFi font-elles parties de MiCA ?
L'autorité européenne des marchés financiers (ESMA) est l'organe européen le plus actif sur ce sujet. "Le régulateur boursier européen est convaincu qu'il existe des intermédiaires non régulés servant de passerelles vers des applications décentralisées et des marchés automatisés comme Uniswap. Par conséquent, certains d'entre eux pourraient finalement entrer dans le périmètre de MiCA", explique à The Big Whale un lobbyiste basé à Bruxelles.
En clair, les start-ups développant les interfaces pour accéder aux smart contracts des protocoles pourraient être visées.
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En avril dernier, Rune Christensen, fondateur de MakerDAO (aujourd'hui Sky), s'est publiquement inquiété d'une possible obligation d'obtenir une licence MiCA. « Cela rendrait impossible l'accès aux interfaces DeFi telles que nous les connaissons aujourd'hui », s'alarmait-il.
Selon nos informations, plusieurs échanges ont eu lieu ces derniers mois entre le régulateur danois et des représentants d'Uniswap et de MakerDAO pour obtenir des garanties sur ce sujet.
"L'objectif principal pour des projets décentralisés comme Sky est de s'assurer que le régulateur fasse une distinction claire entre la technologie blockchain décentralisée, comme la DeFi, et les produits centralisés […] Pour l'instant, l'Union européenne l'a bien compris", s'est réjoui Rune Christensen dans une interview à The Big Whale.
Si l'ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) et l'Autorité des marchés financiers (AMF) ont publié en 2023 des recommandations pour encadrer la DeFi, c'est le rapport de l'autorité de supervision financière danoise (DFSA) qui est allé le plus loin en proposant le 25 juin dernier une sorte de « test de décentralisation ».
"C'est le rapport le plus précis sur le sujet dont nous disposons actuellement", indique Marina Markezic, présidente et cofondatrice de l'EUCI (European Crypto Initiative), l'une des plus grandes associations de défense du secteur en Europe.
D'après l'autorité financière danoise, les interfaces pouvant être exclues du périmètre de MiCA sont qualifiées de "privées", c'est-à-dire qu'à tout moment, l'utilisateur garde un contrôle total sur ses actifs ou sur les ordres qu'il passe via l'interface.

Source: Danish Financial Supervisory Authority
Le régulateur danois précise que l'entité à l'origine d'un protocole "ne peut pas être considérée comme un fournisseur de plateforme de trading pour les actifs crypto" si celle-ci "ne contrôle pas les smart contracts" composant le protocole. Généralement, ces contrats sont contrôlés par une communauté via un jeton de gouvernance.
"Dans son évaluation de la décentralisation, le régulateur danois analyse également la répartition des jetons de gouvernance pour vérifier qu'aucun groupe restreint n'exerce un contrôle centralisé", explique Stéphane Daniel, avocat associé chez d&a partners, cabinet conseillant Morpho Labs, créateur du protocole de prêt et d'emprunt Morpho Blue.
Ce point pourrait s'avérer problématique, car les principales DAO du secteur sont souvent influencées par un groupe ou une figure centrale. "C'est particulièrement évident dans le cas de MakerDAO, où Rune Christensen a un poids considérable", confie un investisseur du secteur.
Ainsi, selon la logique de la DFSA, des protocoles comme Uniswap ou Morpho semblent hors de danger, ayant largement limité leur influence sur la DAO de leurs protocoles. Des acteurs comme Aave ou MakerDAO devraient eux aussi bénéficier de la fameuse "exemption DeFi", même si cette “garantie” est moins pérenne.
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Notons que la DFSA semble également exempter les stablecoins dits "décentralisés" du cadre juridique conçu pour leurs versions centralisées (entré en vigueur à l’été 2024).
Selon le superviseur, ces derniers ne peuvent être couverts par MiCA que si "l'émetteur est identifiable [...] c'est-à-dire une entité juridique derrière l'émission à laquelle les droits associés peuvent être adressés". Cela exclurait donc des projets comme le DAI de Sky ou l’EURA et l’USDA d’Angle. "Il reste un gros risque juridique", souligne toutefois Pablo Veyrat, cofondateur d'Angle Labs.
Selon les acteurs de la finance décentralisés comme Angle, une application stricte de MiCA pourrait conduire à un marché européen où il n'y aurait que des acteurs "centralisés ou totalement décentralisés" comme Morpho. "Les autres pourraient décider de partir, notamment aux Etats-Unis", explique Pablo Veyrat. Tout fraîchement réélu président des Etats-Unis, Donald Trump a expliqué pendant la campagne qu'il mènerait une politique pro-crypto.
Pas de régulation de la DeFi dans les mois à venir
En attendant, quelles sont les prochaines étapes en Europe ? En fin d'année, la Commission européenne publiera un rapport sur les activités comme le staking et les NFT (jetons non fongibles), actuellement non couverts par MiCA. Bien que de nombreux lobbyistes pensaient que ce rapport définirait largement les contours d'une future réglementation de la DeFi, cette hypothèse semble désormais moins probable.
"Les chances que la Commission prenne rapidement des mesures décisives sur la DeFi sont actuellement faibles", explique une source à Bruxelles. Elle alerte cependant sur un point : "Il est possible que l'ESMA cherche à unir les régulateurs nationaux pour appliquer MiCA à des entités potentiellement liées à la DeFi, comme le montrent les préoccupations relatives aux interfaces."
Néanmoins, l'ESMA n'a pas le pouvoir de légiférer. Elle peut uniquement conseiller sur l'application cohérente des règles existantes dans l'UE.
Pour l'instant, de nombreux représentants européens considèrent que l'ampleur du marché de la DeFi et la complexité de ses structures ne justifient pas "les ressources réglementaires nécessaires pour la réguler de manière adéquate et proportionnée".
De plus, il existe déjà des cadres réglementaires, comme le régime pilote, permettant aux institutionnels d'expérimenter sur la blockchain. Bien que la finance traditionnelle soit encore éloignée de la DeFi, elle commence à s'y intéresser, comme le montre la participation de BNP Paribas, première banque de la zone euro, dans la Série A de Kriptown, une start-up visant à lancer la première Bourse tokenisée.
"La régulation doit être progressive, il faut être prudent", souligne un acteur du secteur. "Le risque serait d'entraver excessivement le secteur par rapport au reste du monde. Commençons par appliquer MiCA, dont de nombreux aspects restent flous, et nous verrons ensuite."
Avant d’investir dans un produit, l’investisseur doit comprendre entièrement les risques et consulter ses propres conseillers juridiques, fiscaux, financiers et comptables.


