Rune Christensen (Sky) : "L’USDS permet de capter à la fois les rendements de la DeFi et de la TradFi"

Rune Christensen (Sky) : "L’USDS permet de capter à la fois les rendements de la DeFi et de la TradFi"

Fin août, le protocole Maker, qui est l'émetteur du stablecoin décentralisé DAI, s'est rebrandé en Sky et a annoncé le lancement d'un nouveau stablecoin, l'USDS, pour attirer "un public plus large". Dans une interview, l'un des cofondateurs de MakerDAO, Rune Christensen, revient sur ces choix et explique pourquoi ils sont structurants dans un univers des stablecoins en pleine effervescence.

The Big Whale : Vous faites beaucoup parler de vous depuis quelques semaines. Peut-être devrions nous commencer par revenir sur les grands changements qui ont touché Maker devenu donc… Sky ?

Rune Christensen : Tout à fait. Maker a évolué en Sky, mais au-delà du rebranding – et nous y reviendrons – le plus important est la voie que nous traçons. L’objectif est de faire de Sky la meilleure plateforme possible pour accéder aux rendements à la fois de la finance décentralisée (DeFI) et de la finance centralisée (TradFi).

Nous allons faire cela grâce à un nouveau stablecoin, l’USDS, qui sera accessible soit via le DAI (le stablecoin historique de Maker) ou en convertissant des USDC et des USDT.

Quelle est la vraie nouveauté de votre système ?

Sky apporte plusieurs choses de nouveau.

D’abord il y a les récompenses en jetons Sky : les utilisateurs peuvent gagner des jetons Sky en détenant des USDS, ce qui est une excellente incitation pour les vétérans de la DeFi comme pour les nouveaux utilisateurs.

Puis Sky permet d’accéder à un écosystème plus large que celui de Maker avec le DAI. Grâce à l’USDS, l’utilisateur va pouvoir aller choisir des récompenses dans des projets qui vont nous rejoindre progressivement. Là il y a déjà Chronicle ou Spark.

Comment avez-vous développé Sky ?

Sky est construit sur le protocole Maker, qui existe depuis sept ans et est devenu un leader dans l’univers de la finance décentralisée. Ce qui est intéressant avec Sky aujourd'hui, c’est que nous ouvrons cette infrastructure. D’autres projets peuvent nous rejoindre.

L’autre point très intéressant de Sky, c’est le système des "étoiles", anciennement appelées subDAOs. La première étoile, Spark, lancera son jeton dans quelques mois, ajoutant encore plus d'options de récompenses dans Sky.

Vous avez proposé lundi à la communauté Maker de revenir sur le rebranding. Pourquoi cette proposition, alors même que le changement n’a eu lieu qu'il y a quelques semaines ?

Comme vous le savez, le changement de marque n'est qu'une partie de notre nouvelle stratégie, qui inclut le lancement de l’USDS, les récompenses en jetons natifs Sky, ainsi que les nouvelles étoiles...

Depuis sa mise en service, l’USDS a déjà dépassé 1 milliard de dollars de capitalisation. C'est un chiffre significatif, d'autant plus que la majorité de cette demande provient de nouveaux utilisateurs, ce qui est notre objectif. Grâce à cela, en quelques semaines, la capitalisation totale de notre écosystème, qui inclut le DAI et l’USDS, a augmenté d'environ 700 millions de dollars.

Donc c'est un succès...

Oui, mais il y a eu des confusions autour de la coexistence des jetons SKY et MKR, et de leurs fonctions distinctes. Le jeton SKY n’a pas été adopté aussi largement que l’USDS. De plus, il est évident que la communauté reste très attachée à la marque Maker, et nous devons entendre cela.

En tant que leader dans la DeFi, et en raison de notre approche décentralisée, nous devons discuter de ces sujets publiquement, d’où mes propositions publiées lundi. Nous avons collectivement décidé de changer pour Sky, donc nous devons pouvoir décider collectivement de revenir en arrière.

L'option de base est de conserver Sky tel quel et de poursuivre la stratégie de migration vers Sky. Les deux autres options consistent à se recentrer sur la marque Maker. La première est de revenir complètement à la marque Maker, la rendant à nouveau centrale comme par le passé. La deuxième option propose de réintroduire la marque Maker avec une légère refonte, pour mieux l’aligner avec ses produits DAI et USDS.

Quand pensez-vous que Sky - ou peut-être de nouveau bientôt Maker - aura attiré des dizaines, voire des centaines de nouveaux projets ?

Il est difficile de donner un calendrier exact. Cela dépend de plusieurs facteurs imprévisibles, comme les progrès de la technologie et les questions de gouvernance.

Cependant, nous allons assez vite atteindre certaines étapes clés, comme l’intégration des premières étoiles. Tous les jetons d'étoiles, comme Spark, seront disponibles comme récompenses pour la détention d'USDS.

Et en termes d'adoption, quelle est votre stratégie pour attirer plus d'utilisateurs ?

Notre approche est assez simple : nous offrons le stablecoin décentralisé (USDS) le plus fiable, transparent et profitable du marché. Mais cela ne suffit pas à convaincre tout le monde, car même après plus de 10 ans, les gens hésitent encore à investir dans le bitcoin…

C’est pour cette raison que nous avons décidé d’ouvrir l’univers de Maker et de créer Sky qui va permettre d’accéder à plus de protocoles via l’USDS et donc à potentiellement plus de rendement.

Parlons justement de rendement. La majorité des rendements du DAI, et donc de l’USDS, provient de la réserve, en partie composée de bons du Trésor américain. Avec la baisse des taux et donc des rendements des obligations, comment allez-vous garder un rendement intéressant ?

Historiquement, Maker était très dépendant des taux d'intérêt de la finance traditionnelle (TradFi). C’était clairement notre principale source de revenus.

Mais avec Sky, nous avons conçu un système capable de capter à la fois les intérêts de la finance traditionnelle et de la finance décentralisée.

Si les taux d'intérêt sont élevés, les rendements générés par le collatéral soutenant l'USDS augmentent. Quand les taux baissent, il faut trouver d’autres opportunités. C'est là que la finance décentralisée devient intéressante.

Sky génère actuellement environ 80 millions de dollars par an en détenant plusieurs milliards de dollars de bons du Trésor. Si les rendements des bons baissent, nous nous tournerons davantage vers la finance décentralisée. C'est ainsi que nous sommes capables d’offrir un rendement de 6,25 % sur l'USDS.

Au-delà des rendements, l’enjeu principal pour un stablecoin est celui de sa capitalisation. Aujourd’hui, le DAI est autour de 5 milliards de dollars, tandis que l’USDC de Circle dépasse les 30 milliards de dollars, et l’USDT de Tether a franchi la barre des 100 milliards de dollars. Comment rivaliser ?

Maker a toujours été à l'avant-garde de l'innovation, et avec Sky, nous allons encore plus loin. L’avantage du système d’étoiles de Sky, c’est que des protocoles comme Spark peuvent développer des produits en DeFi sans passer par la DAO de Maker, ce qui profite à l’écosystème Sky.

L’une de nos idées pour augmenter la capitalisation est d’attirer de nouveaux actifs tokenisés. Nous avons notamment lancé un “concours de la tokenisation”. Des dizaines d’émetteurs ont déposé leurs candidatures pour tokeniser leurs produits sur Maker. Au total, Spark a prévu 1 milliard de dollars pour la tokenisation de projets.

Quel est l’intérêt de ce genre de concours ?

Cette compétition pousse tout le monde à s’améliorer, y compris des projets portés par des banques. Tout le monde optimise ses offres en termes de coût, de liquidité, de sécurité et de transparence.

Concernant l'USDS, pourquoi avez-vous introduit cette fonction de "gel" pour l'USDS ? Quel en est le but ?

En réalité, ce n'est pas une fonction de "gel" mais une fonctionnalité "d'amélioration" qui a été mise en place. Cela a été approuvé par la gouvernance il y a quelques mois. L'améliorabilité permet à la gouvernance décentralisée de Sky de modifier le jeton USDS si nécessaire.

Le DAI, en revanche, est immuable. Il ne peut pas être modifié ou gelé, ce qui est important pour ceux qui tiennent à cette immutabilité.

Avec l'USDS, nous visons un marché grand public. Cette “améliorabilité” offre de la flexibilité et permet d’être compatible avec la réglementation si celle-ci évolue.

Ne pensez-vous pas qu'en faisant cela, vous risquez de perdre certains de vos premiers utilisateurs ?

Je ne pense pas. Ceux qui préfèrent le DAI peuvent continuer à l’utiliser. Le DAI reste inchangé et immuable.

Avec Sky, nous visons une adoption massive, et pour cela, nous devons offrir de meilleures récompenses et assurer l'évolutivité du produit.

La capacité d'interagir avec des actifs du monde réel est cruciale pour un stablecoin décentralisé à grande échelle. Et oui, il est important d’être aligné sur la réglementation pour protéger ces actifs. Cependant, toutes les décisions liées à ces changements sont contrôlées par une gouvernance décentralisée.

Vous avez aussi lancé un "Pure DAI". Pouvez-vous nous en dire plus sur ce stablecoin ?

Le Pure DAI est essentiellement du DAI, mais uniquement adossé à des réserves décentralisées, comme l'ETH et l'ETH staké. Il n’y aura pas d’actifs du monde réel.

Le Pure DAI est un produit de niche pour ceux qui veulent éviter toute interaction avec le système financier traditionnel.

Que pensez-vous des projets comme Usual qui offrent des rendements à leurs utilisateurs ? Les voyez-vous comme des concurrents ?

C’est une bonne chose qu’il existe ce genre de projet. La redistribution du rendement est un vrai sujet, et Sky est aujourd’hui l’environnement le plus intéressant. À noter que nous ne prenons aucune marge sur les rendements. Tout est transmis directement à l’utilisateur. Notre force est que nous savons générer des rendements à la fois dans la TradFi et la DeFi.

Comment gagnez-vous de l’argent si vous redistribuez tous les rendements ?

Nous créons de la valeur à travers le jeton de gouvernance Sky et en intégrant de nouveaux projets DeFi dans Sky.

Pensez-vous que les stablecoins centralisés comme l’USDC ou l’USDT finiront par redistribuer du rendement ?

Il est peu probable que les stablecoins centralisés puissent offrir des rendements comparables à ceux de Sky. Mais même s'ils le faisaient, nous aurions toujours un avantage car nous nous appuyons sur la TradFi et la DeFi.

Au-delà des rendements, Sky crée de la valeur pour l’utilisateur grâce à ses écosystèmes comme Chronicle ou Spark. Or, ces écosystèmes ne peuvent exister que dans un univers décentralisé.

Stripe vient de mettre 1,1 milliard de dollars pour faire l’acquisition de Bridge qui est une start-up spécialisée dans les paiements en stablecoin. Est-ce un tournant ?

Les stablecoins sont un moyen de paiement plus efficace et moins cher. Il est évident que le secteur va grandir et que ce genre d’opérations va se multiplier.

La réglementation MiCA vient d’entrer en vigueur dans l’Union européenne. Elle sera contraignante à partir du 30 décembre. Où en êtes-vous de vos discussions avec le régulateur ?

Nous sommes en discussion avec les régulateurs, particulièrement en Europe. MiCA représente une avancée significative pour l'industrie, et nous nous engageons étroitement pour nous assurer que Sky, Spark et tous les protocoles associés restent conformes tout en continuant à innover.

L'objectif principal pour les projets décentralisés comme Sky est de s'assurer que le régulateur fasse une distinction claire entre la technologie blockchain décentralisée, comme la DeFi, et les produits centralisés.

Ces deux aspects devraient être réglementés différemment, et pour l’instant, l’Union européenne l’a bien compris. C’est d’ailleurs pour cela que les stablecoins décentralisés ne sont pas concernés.

Si vous essayez de réglementer un protocole décentralisé comme s'il était centralisé, vous allez finir par l’interdire. Les protocoles décentralisés n'ont tout simplement pas la capacité de se conformer à certaines réglementations – c'est juste du code informatique fonctionnant sur des milliers d'ordinateurs, pas une entreprise ou une personne qui peut suivre des règles.

Y a-t-il un risque que l’USDS et plus globalement Sky soient un jour interdits en Europe ?

Sky est un protocole qui fonctionne sur la blockchain Ethereum. On ne peut pas demander à un morceau de code de suivre des règles comme on le ferait avec une entreprise. C'est l'essence même de la technologie décentralisée. Actuellement, les protocoles décentralisés ne sont pas tenus de se conformer à MiCA, c’est tout ce que je peux dire.

Quoi qu’il arrive, je dois reconnaître que je suis un peu inquiet par ce qu’il se passe dans l’UE. Nous avons sans doute parmi les meilleurs projets, mais ce n’est pas forcément l’endroit le plus intéressant pour les développer. Et je dis cela en tant qu’Européen.

Paradoxalement, je pense que les États-Unis, qui ont été très stricts ces 18 derniers mois, vont finir par adopter une approche plus consensuelle sur la DeFi parce qu’ils voudront en tirer parti.

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