Strategy : Le scénario noir de Michael Saylor

Strategy : Le scénario noir de Michael Saylor

En misant tout sur le Bitcoin, Michael Saylor a transformé Strategy en une entreprise unique en son genre. Mais alors que les échéances financières s’accumulent, sa stratégie affrontera d’ici 2028 son premier vrai test de résilience.

Longtemps saluée pour son audace et sa constance, la stratégie de Michael Saylor – patron et fondateur de MicroStrategy, devenue « Strategy » – suscite aujourd’hui des doutes croissants. En l’espace de cinq mois seulement, entre novembre 2024 et mars 2025, l’entreprise a plus que doublé ses avoirs en Bitcoin, passant de 252 220 à 528 185 BTC. Ces acquisitions massives, pour un coût total estimé à 35,6 milliards de dollars, se sont faites à un prix moyen de 67 458 dollars l’unité. Ce timing interpelle alors que le marché du Bitcoin donnait déjà, au premier trimestre 2024, des signes d’essoufflement. Pour la première fois depuis le début de son pari en 2020, la stratégie de Saylor semble exposée à un risque systémique.

Depuis deux ans, Strategy affirme ne plus avoir recours à des prêts adossés à son stock de Bitcoin. Désormais, ses acquisitions sont exclusivement financées par l’émission d’actions sur le marché boursier – des actions ordinaires de classe A – ou par la création d’obligations convertibles. Ce choix permet d’éviter les appels de marge qui avaient menacé l’entreprise lors des phases de baisse en 2022. Mais il n’en est pas moins risqué.

Les obligations convertibles émises par Strategy doivent en principe être remboursées cinq ans après leur émission, soit en numéraire, soit en actions MSTR, en fonction du choix des créanciers. Toute la mécanique repose sur une hypothèse simple : que le Bitcoin poursuive ses cycles haussiers tous les quatre ans, entraînant dans son sillage le cours de l’action MSTR. Si tel est le cas, les créanciers choisiront la conversion en actions, limitant les sorties de trésorerie. Mais si ce cycle venait à être rompu, et que le Bitcoin entrait dans une longue phase baissière, les créanciers pourraient préférer un remboursement en cash, mettant Strategy face à une pression de liquidité brutale.

Cette éventualité prend d’autant plus de relief que l’entreprise doit faire face, à partir du 15 septembre 2028, à un calendrier d’échéances particulièrement chargé. Durant cinq années consécutives, jusqu’en 2033, Strategy devra rembourser environ 1,6 milliard de dollars par an, soit un total de 8 milliards. Une somme colossale pour une société dont les activités logicielles historiques ne génèrent plus, aujourd’hui, de flux suffisants pour en couvrir ne serait-ce qu’une fraction.

Au cours actuel de 280 dollars par action MSTR, seules les obligations arrivant à échéance en 2029 et 2030 sont potentiellement « underwater », car leur prix de conversion est supérieur à la valeur du titre à la fin du premier trimestre 2025. Pour toutes les autres, les détenteurs seraient incités à convertir leur dette en actions, ce qui diluerait encore davantage les actionnaires existants. Mais si le cours de MSTR venait à baisser fortement – du fait d’un recul prolongé du Bitcoin ou d’émissions trop fréquentes et dilutives – ce scénario s’effondrerait.

Strategy pourrait alors se voir contrainte de lancer de nouvelles émissions pour honorer les précédentes, au risque d’éroder totalement la confiance du marché (cela voudrait dire que l’entreprise s’endette pour honorer ses dettes). Et si cette option devenait elle-même inopérante, l’entreprise n’aurait d’autre choix que de céder une partie de son stock de BTC. Ce mouvement, venant de l’un des plus grands détenteurs de Bitcoin au monde, pourrait enclencher une spirale descendante : vente massive, chute du cours du BTC, baisse du titre MSTR, nouvelles pressions de remboursement, nouvelles ventes, et ainsi de suite.

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Michael Saylor seul aux commandes, mais jusqu’à quand ?

Au-delà des considérations financières, un autre défi se pose à Strategy : celui de la gouvernance. Pour financer ses acquisitions, la société a multiplié les levées de fonds par émission d’actions ordinaires, entraînant une dilution progressive de son capital. Un processus classique en finance d’entreprise, mais qui peut se révéler déstabilisant lorsque la stratégie repose sur une vision de long terme partagée.

Dans des sociétés cotées, plus la part de capital détenue par les fondateurs diminue, plus leur pouvoir de décision s’érode. Et plus le nombre d’actionnaires augmente, plus le risque grandit de voir apparaître des visions divergentes, notamment en cas de crise. Or, Strategy n’est pas une entreprise comme les autres : c’est une Bitcoin Treasury Company, c’est-à-dire une entité dont le modèle repose sur l’accumulation d’un actif spéculatif, à très long terme. Elle ne peut fonctionner qu’à condition de réunir autour d’elle des investisseurs convaincus de la pertinence de cette thèse.

Pour maintenir cet alignement, Michael Saylor s’est efforcé de faire entrer progressivement au capital de nouveaux actionnaires acquis à sa vision, tout en verrouillant sa position au sommet de l’organigramme.

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Le dispositif mis en place est particulièrement robuste. Strategy distingue les actions de classe A, ordinaires et cotées, des actions de classe B, non cotées et dotées de dix fois plus de droits de vote. Aujourd’hui, 99,9 % des actions de classe B sont détenues par Michael Saylor. Ce mécanisme lui permet de conserver, malgré la dilution, un pouvoir quasi absolu sur la stratégie de l’entreprise.

Selon le formulaire DEF-14A déposé auprès de la SEC le 3 janvier 2025, Saylor détient encore 46,8 % des droits de vote de Strategy, alors que sa part économique dans le capital est désormais minoritaire. Tant que ce verrouillage tient, il est libre de poursuivre son pari sur Bitcoin sans entrave. Mais ce pouvoir, aussi solide soit-il sur le papier, repose sur une structure de financement de plus en plus tendue.

En l’absence de revenus d’exploitation significatifs, tout repose sur la confiance des marchés, le maintien du cours de l’action, et la conviction que le Bitcoin poursuivra sa trajectoire ascendante.

Avec plus de 528 000 BTC dans son bilan, Strategy est devenue l’archétype de l’entreprise crypto-alignée. Mais ce rôle d’avant-garde, qui lui vaut l’admiration d’une partie de l’écosystème, pourrait se transformer en talon d’Achille si le marché ne suit plus. La stratégie de Michael Saylor n’a jamais été une diversification, c’est un acte de foi absolu. Le moindre accroc dans cette foi – chez les investisseurs, les créanciers ou les marchés – pourrait précipiter une réaction en chaîne. Plus qu’un pari technologique ou financier, Strategy incarne désormais un test grandeur nature sur la résilience du Bitcoin… et celle de ses partisans.‍

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