Ethereum Foundation : Une organisation essentielle mais contestée

Ethereum Foundation : Une organisation essentielle mais contestée

Officiellement simple facilitatrice, l’Ethereum Foundation exerce une influence majeure sur l’évolution du protocole, dictant les priorités du réseau via ses financements. Son manque de transparence, son pouvoir concentré autour d’un cercle restreint et sa gestion contestée de la trésorerie soulèvent des questions sur son impact.

Qu'est-ce que l'Ethereum Foundation ?

L'Ethereum Foundation (EF) est une organisation à but non lucratif fondée le 6 juillet 2014 à Berne, en Suisse, dans le but de promouvoir, développer et pérenniser l'écosystème Ethereum. Elle est désormais installée à Zoug, toujours en Suisse, comme de nombreuses autres fondations du secteur. Celle-ci a été lancée après une Initial Coin Offering (ICO) ayant permis de lever environ 18 millions de dollars. Cet argent a permis de financer le développement initial d'Ethereum et de poser les bases d'une infrastructure capable d'accueillir les innovations futures.

L'Ethereum Foundation se positionne comme un acteur central du développement du protocole, bien qu'elle se présente comme un simple facilitateur. Elle finance notamment la recherche et le développement du protocole — particulièrement avec la transition en 2022 vers Ethereum 2.0 et l'adoption du Proof of Stake (PoS) — ainsi que les solutions de mise à l'échelle comme les rollups. La fondation finance également des projets via l'Ecosystem Support Program (ESP), aidant des initiatives comme Uniswap et Optimism à se développer. Malgré cette vision officielle d'un soutien passif, son rôle est loin d'être neutre, puisqu'elle oriente de fait la direction que prend Ethereum à travers ses financements et ses priorités stratégiques.

Qui sont ses dirigeants et comment sont-ils nommés ?

L'Ethereum Foundation est dirigée par un cercle restreint de membres, parmi lesquels la Japonaise Aya Miyaguchi, directrice exécutive depuis 2018. Elle joue un rôle clé dans l'allocation des fonds et la définition des priorités stratégiques. Il est à noter que l'EF n'a pas de structure de gouvernance traditionnelle comme une entreprise avec un conseil d'administration élu ou un processus formel de nomination des dirigeants. Ses membres dirigeants sont choisis en fonction de leur leadership et via une sélection interne opaque.

Le board actuel de la fondation est composé d'Aya Miyaguchi, l'avocat suisse Patrick Storchenegger et le co-créateur d'Ethereum, Vitalik Buterin.

Ce dernier a une influence énorme sur la fondation, mais ce n'est pas une influence opérationnelle classique comme celle d'un PDG. Il ne dirige pas la fondation au quotidien, mais il en est l'architecte principal. Il a trois des cinq votes du conseil d'administration de la Fondation Ethereum ; donc, en réalité, c'est lui qui prend toutes les décisions stratégiques majeures. C'est lui qui choisit le directeur exécutif, c'est lui qui donne les grandes orientations. Il ne s'occupe pas du management au jour le jour, mais si une grande décision doit être prise, elle passe forcément par lui.

Son rôle a aussi évolué avec le temps. Il y a quelques années, il était plus actif dans les débats techniques, il intervenait plus fréquemment sur les questions de développement. Aujourd'hui, il se positionne davantage en figure visionnaire et en garant des principes fondamentaux d'Ethereum. Il reste l'un des plus gros atouts de l'écosystème, car son influence est mondiale. Quand Vitalik Buterin soutient une idée, elle a du poids, que ce soit auprès des développeurs, des institutions ou même des régulateurs. Il a cette capacité unique d'articuler une vision qui inspire et qui attire les meilleurs talents vers Ethereum.

Parmi les autres figures centrales, on retrouve des chercheurs comme Danny Ryan, Tim Beiko, Dankrad Feist ou Justin Drake, qui travaillent activement sur les améliorations du protocole.

Quelle est l’influence réelle de la Fondation Ethereum dans la stratégie de développement d’Ethereum ?

La Fondation Ethereum joue un rôle clé dans l’orientation du protocole, mais elle n’a pas un pouvoir absolu. Son influence passe principalement par le financement de la recherche et le soutien aux équipes qui développent Ethereum. C’est elle qui a structuré et financé les travaux sur le Proof of Stake, le sharding et l’essor des layers 2. Elle ne décide pas directement des mises à jour, mais en finançant les chercheurs et en soutenant certains axes de développement, elle oriente clairement les choix stratégiques.

Cependant, elle ne contrôle pas tout. Ethereum fonctionne avec plusieurs clients indépendants (Geth, Nethermind, Besu, Erigon), développés par différentes équipes qui prennent leurs propres décisions. Les Core Devs Meetings sont le véritable espace de discussion technique, et la Fondation n’y impose pas ses choix. De plus, à mesure que l’écosystème grandit, son influence diminue : des acteurs comme Optimism ou zkSync financent désormais leur propre recherche et développement, ce qui réduit la dépendance à la Fondation.

Les Ethereum Improvement Proposals (EIP), qui ne sont pas filtrés par la fondation, sont également d’autres initiatives qui permettent d’évaluer se mainmise relative sur les améliorations du protocole. N’importe qui peut proposer une EIP, la présenter publiquement et la faire discuter par la communauté et les Core Devs. Les décisions finales sur les mises à jour d’Ethereum passent par un processus transparent où plusieurs équipes de développeurs de clients Ethereum doivent se mettre d’accord.

L’exemple du Proof of Stake (The Merge) illustre bien ce processus. La transition était prévue dès le whitepaper de 2015, mais son implémentation a été longuement débattue et peaufinée à travers plusieurs EIP. D’autres évolutions clés (comme EIP-1559 qui a introduit le burn des frais de transaction) ont été largement discutées avant d’être adoptées.

Pourquoi la gestion de sa trésorerie est-elle critiquée ?

Au 31 octobre 2024, la Fondation Ethereum dispose d'une trésorerie de 970,2 millions de dollars, répartis en 788,7 millions de dollars en crypto-monnaies et 181,5 millions de dollars en actifs non-cryptographiques. La majorité de ces avoirs en crypto (99,45 %) est constituée d'ETH, représentant environ 0,26 % de l’offre totale d’ETH en circulation à cette date.

Les ventes d’ETH par la Fondation Ethereum soulèvent des critiques quant à leur impact sur le marché et leur pertinence stratégique. L’un des points les plus discutés est leur influence sur le prix de l’ETH. À plusieurs reprises, des ventes importantes ont coïncidé avec des baisses de prix, ce qui alimente les soupçons d’un possible market timing, volontaire ou non, de la part de la Fondation. Étant donné la quantité d’ETH qu’elle détient – environ 0,26 % de l’offre totale en circulation en 2024 –, chaque vente importante peut entraîner une pression baissière, surtout si elle est exécutée dans un marché peu liquide. Ces mouvements sont particulièrement scrutés par la communauté, car ils peuvent envoyer des signaux négatifs aux investisseurs, leur laissant penser que la Fondation cherche à se délester de ses ETH à des moments clés du marché. Une plus grande transparence sur la stratégie de vente, avec une planification à long terme et une communication plus claire, pourrait atténuer ces inquiétudes.

Une autre critique majeure concerne la gestion même de la trésorerie de la Fondation. Plutôt que de vendre régulièrement des ETH pour financer ses activités, elle pourrait exploiter des mécanismes alternatifs qui éviteraient de créer une pression vendeuse sur le marché. L’une des solutions les plus évidentes serait le staking de ses ETH. Avec la transition vers Ethereum 2.0 et la mise en place du Proof of Stake, la Fondation a désormais la possibilité de générer des rendements passifs en sécurisant le réseau. Pourtant, elle ne semble pas pleinement exploiter cette opportunité. En plaçant ses réserves en staking, la Fondation pourrait générer un flux de revenus régulier sans toucher directement à son capital.

Au-delà du staking, une alternative serait l’utilisation des plateformes DeFi pour emprunter des stablecoins en mettant ses ETH en garantie. Des protocoles comme Aave ou MakerDAO permettent d’obtenir des liquidités sans vendre ses actifs, ce qui éviterait de créer une pression sur le marché tout en finançant les initiatives de la Fondation. Ce type de gestion active de trésorerie est déjà couramment utilisé par des fonds d’investissement crypto et des DAO, mais la Fondation Ethereum semble encore privilégier une approche plus traditionnelle, en liquidant directement une partie de ses réserves. Raison officielle : la neutralité. Elle ne veut pas donner l’impression de privilégier des applications de l’écosystème au détriment d’autres.

>> Lire aussi - Jérôme de Tychey : “Mes propositions pour la fondation Ethereum”

Quelle est la répartition de ses dépenses ?

En 2022, la Fondation a alloué 105,4 millions de dollars, principalement destinés à financer des projets de recherche, à soutenir le développement de la communauté et à appuyer les institutions autonomes. En 2023, ces dépenses ont augmenté de 28 %, atteignant 134,9 millions de dollars. Le rapport sur l'année 2024 n’était toujours pas disponible début février 2025.

Elle accorde une importance majeure à la recherche et au développement du Layer 1, consacrant à cette catégorie 30,4 % de son budget en 2022 (32,1 millions de dollars) et 25,7 % en 2023 (34,7 millions de dollars), une baisse proportionnelle reflétant une diversification des priorités tout en maintenant le Layer 1 comme un pilier fondamental du réseau.

Parallèlement, les technologies Zero-Knowledge (ZK) ont pris une place croissante dans sa stratégie, avec un budget passant de 7,6 millions de dollars en 2022 (7,2 %) à 14,8 millions en 2023 (11 %), afin de renforcer la confidentialité et la scalabilité des transactions sur Ethereum grâce à des projets comme Semaphore et MACI.

Le soutien aux institutions autonomes a également connu une hausse significative, passant de 28,6 millions de dollars en 2022 (27,1 % du budget) à 47,4 millions en 2023 (35,2 %), illustrant l’engagement croissant de la Fondation en faveur de la décentralisation avec des initiatives telles que L2BEAT et 0xPARC.

En parallèle, le développement communautaire a bénéficié de 19,5 millions de dollars en 2022 (18,5 % du budget), mais a vu son financement réduit à 16,9 millions en 2023 (12,5 %), tout en continuant de soutenir des événements clés comme Devcon et Devconnect.

Enfin, la Fondation a maintenu son investissement dans les outils pour développeurs, avec un soutien à des infrastructures essentielles comme Solidity et Remix IDE, recevant respectivement 8,3 millions de dollars en 2022 (7,9 % du budget) et 8,7 millions en 2023 (6,5 %), afin de favoriser la création et l’adoption d’applications décentralisées.

Audit et transparence financière de la Fondation Ethereum

La Fondation Ethereum (EF) publie régulièrement des rapports financiers afin d’assurer une certaine transparence vis-à-vis de la communauté, des investisseurs et de ses partenaires. Ces rapports, accessibles sur le site officiel de la Fondation, fournissent une vue d’ensemble des revenus, des dépenses, des investissements et des allocations budgétaires.

Toutefois, si ces publications permettent de suivre les grandes tendances financières de l’EF, elles manquent souvent de détails sur l’affectation précise des fonds. La Fondation consacre une partie importante de son budget au financement de projets de recherche, d’initiatives en lien avec l’infrastructure du réseau et d’investissements stratégiques, mais le suivi exact de ces dépenses reste flou.

En 2023, la Fondation Ethereum a annoncé un budget de 130 millions de dollars, avec un focus sur la recherche et le développement, la sécurité du réseau et le soutien aux institutions décentralisées. Cependant, les rapports financiers ne fournissent pas toujours une ventilation détaillée des fonds alloués à chaque projet spécifique. Par exemple, si l’on sait que plusieurs initiatives ont bénéficié de financements, il est difficile d’identifier précisément combien a été attribué à chaque programme ou partenaire.

Si la Fondation Ethereum affiche un engagement en faveur de la transparence en publiant ses rapports annuels, des zones d’ombre persistent quant à la manière dont les fonds sont répartis. En particulier, les informations sur les dépenses administratives, les salaires et la répartition des subventions restent limitées.

Entre 2022 et 2023, l’EF a attribué environ 500 millions de dollars en subventions, mais sans indication détaillée sur la ventilation de ces montants. Par exemple, les dépenses internes par département ou les investissements spécifiques dans certains projets sont rarement détaillés. De même, les investissements dans des entités externes, comme les startups liées à l’écosystème Ethereum, ne sont pas systématiquement accompagnés d’explications précises sur les montants engagés ou les critères d’attribution.

En 2024, la situation reste inchangée. Les rapports financiers restent consolidés, offrant une vision macroéconomique de l’utilisation des fonds, mais sans apporter de détails sur les flux financiers internes et les prises de décisions budgétaires.

Par exemple, la Fondation a alloué 50 000 ETH pour soutenir l’écosystème DeFi via des portefeuilles multi-signatures. Toutefois, les rapports ne précisent pas comment ces fonds ont été répartis entre les différentes plateformes et projets bénéficiaires. Cette opacité suscite des interrogations sur la gouvernance financière de l’organisation et sa capacité à justifier ses choix d’investissements.

Alors que l’écosystème Ethereum continue de croître et d’attirer des financements de plus en plus importants, la question de la transparence budgétaire devient cruciale. Plusieurs acteurs du secteur estiment que la Fondation Ethereum devrait publier des rapports plus détaillés, précisant notamment :

  • La répartition des subventions par projet et par bénéficiaire.
  • Les montants exacts investis dans des sociétés partenaires et les conditions associées.
  • Une clarification des dépenses administratives et des rémunérations internes.

Quelle est sa politique interne visant à prévenir les conflits d’intérêts ?

Les chercheurs Justin Drake et Dankrad Feist ont été au cœur d'une polémique en 2024 en raison de leur rôle de conseiller pour le projet de restaking EigenLayer, soulevant des questions sur la neutralité et la gouvernance de l'organisation.

En réaction, la Fondation a mis en place fin 2024 une première politique anti-conflit d’intérêt afin de garantir l’intégrité de l’organisation tout en permettant à ses membres, appelés “EFers”, d’être actifs dans l’écosystème crypto.

Ceux-ci peuvent librement investir dans des actifs crypto liquides, mais doivent informer la fondation pour tout investissement supérieur à 500 000 dollars, sauf pour l’ETH. Une exposition excessive à un actif peut entraîner un retrait des décisions liées à celui-ci ou d’autres mesures d’atténuation. Pour les autres conflits d’intérêts potentiels, un groupe de discussion interne composé de la direction de l’EF, du responsable d’équipe, du service juridique et des ressources humaines examine chaque situation afin d’en évaluer les risques et avantages. Dans certains cas, des restrictions comme une obligation de se récuser ou un refus pur et simple peuvent être imposés.

Concernant le travail en dehors de l’EF, il est autorisé sous réserve d’en informer la fondation, et toute activité rémunérée au-delà de 25 000 dollars par an doit être validée par le groupe de discussion. Les investissements en tant qu’ange investisseur sont possibles mais soumis à une limite de 100 000 dollars par investissement et 400 000 dollars par an, avec une obligation d’information et de validation préalable. De même, les EFers peuvent investir dans des fonds ou co-fonder des projets à condition d’en avertir l’EF, ces derniers étant soumis à une évaluation et à un suivi régulier pour éviter toute incompatibilité avec leur rôle. Toutefois, il est strictement interdit de percevoir une rémunération en actifs illiquides dont la valeur de marché est inconnue, sauf “rares exceptions”.

Cette politique ne concerne que les conflits liés à l’écosystème crypto et Web3 et impose aux EFers de mettre à jour annuellement leurs déclarations d’intérêts auprès de la direction. Elle s’applique à tous les employés et contractants, à temps plein ou partiel, mais exclut les stagiaires, fellows, bénéficiaires de subventions et certains conseillers. Avec ces nouvelles règles, l’EF cherche à équilibrer la participation de ses membres dans l’écosystème crypto tout en préservant sa neutralité et sa crédibilité.

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