Rand Hindi (Zama) : "La confidentialité est la clé manquante pour une adoption massive des institutionnels"

Alors que les entreprises s'intéressent de plus en plus à l’économie onchain, un obstacle majeur freine leur adoption : l'absence de confidentialité. Pour Rand Hindi, fondateur de Zama, c’est ce verrou qu’il faut faire sauter pour permettre aux institutionnels de s’engager pleinement. Dans une interview exclusive, il revient sur les ambitions de Zama, les promesses du chiffrement homomorphe (FHE) face aux autres technologies de confidentialité, et les cas d’usage concrets - du paiement à la tokenisation - qui pourraient transformer la finance décentralisée.
Vous êtes l’un de ceux qui militent le plus pour la confidentialité des transactions sur les blockchains. Pourquoi ?
Parce que les entreprises sont de plus en plus actives dans l’économie onchain et que c’est un point crucial pour elles. Le sujet de la confidentialité est important pour les particuliers, mais il l’est au moins autant, voire plus, pour les entreprises. Sans cela, elles ne font pas de business.
Comment Zama avance-t-elle sur ce sujet de la confidentialité des transactions ?
Au départ, nous vendions notre tech à d’autres entreprises du secteur. Mais nous avons compris que la majorité des projets voulaient construire des applications directement sur des blockchains publiques comme Ethereum, Solana ou Base. Ils ne voulaient pas lancer leur propre blockchain.
Dans ce contexte, on s’est dit que c’était plus intéressant de créer un protocole permettant d’apporter de la confidentialité au-dessus des blockchains publiques existantes.
Quelles sont aujourd’hui les opérations qui ont le plus besoin de confidentialité ?
Le paiement, très clairement. On parle de versement d’un salaire onchain ou de paiement d’un contrat. Quel que soit le cas, on ne veut pas que les montants soient publics.
Si demain tous les paiements passent onchain via les stablecoins, cela représentera des volumes gigantesques. On parle de milliers de milliards de dollars.
Notre objectif est que Zama soit la couche de confidentialité de ces volumes de paiement. Même si seulement 10 % de ces paiements passent par Zama, on parle déjà de centaines de milliards de dollars de transactions.
Quels sont les autres cas d’usage au-delà du paiement ?
La tokenisation et le trading d’assets. Mais il n’y a aucune chance que de gros fonds ou institutions veuillent afficher leurs positions. La finance repose sur l’information asymétrique. Si tout est public, cet "edge" disparaît, et donc personne ne fait d’opérations. La confidentialité est la clé manquante pour une adoption massive des institutionnels.
Il existe plusieurs technologies pour garantir la confidentialité. Vous avez choisi le FHE (Fully Homomorphic Encryption). Pourquoi ce choix, par rapport au ZKP (Zero-Knowledge Proof) ou au MPC (Multi-Party Computation) ?
Le ZKP, c’est top, mais pas composable. Tu ne peux pas simplement combiner deux preuves pour faire un transfert : il faut un troisième élément au milieu.
De son côté, le MPC fonctionne bien, mais ce n’est pas vérifiable publiquement, donc il faut faire confiance à ceux qui réalisent les calculs.
Le FHE, lui, est composable, vérifiable publiquement, et post-quantique. On effectue des calculs sur des données chiffrées, exactement comme avec un smart contract. Le seul problème, historiquement, avec le FHE, c’était la performance. Mais nous avons fait d’énormes progrès.
C’est-à-dire ?
En d’autres termes, le protocole de Zama peut saturer Ethereum. On est au-dessus de ses capacités. D’ici la fin de l’année, on sera au niveau d’un bon layer 2, c’est-à-dire autour de 100 transactions par seconde (TPS).
Dans un an, on sera à 1 000 TPS. C’est ce qu’il faut pour le paiement. D’autant que les paiements sont souvent indépendants et parallélisables. Si vous souhaitez ajouter 1 000 paiements en parallèle, il suffit d’ajouter des serveurs.
Et au niveau des coûts ? Un tel système doit coûter assez cher…
Paradoxalement, non. En fait, Zama ne facture pas le compute, mais le chiffrement et le déchiffrement des opérations.
Sur Ethereum, on est autour de 11 centimes par paiement. Sur Base, on descend en dessous de 2 centimes. Franchement, ça ne coûte presque rien.
Comment fonctionne le système de Zama ?
C’est un système en deux temps. D’abord, les gens « achètent des tokens confidentiels sur la blockchain », un peu comme des stablecoins. Ensuite, ils peuvent utiliser ces tokens confidentiels pour payer ou les déposer dans un protocole de DeFi.
Nous travaillons sur des solutions qui permettent d’utiliser des tokens confidentiels sur des protocoles DeFi non confidentiels. Par exemple, pouvoir swapper un confidential USDC contre un confidential ETH sur Uniswap sans créer de nouvelle liquidité. C’est une bonne première étape pour accélérer l’adoption.
La tokenisation est l’un des grands sujets du moment. Quelles sont les thématiques que vous regardez le plus dans ce domaine ?
Il y en a beaucoup. Un sujet qui m’intéresse est le crédit onchain. C’est un sujet qui parle à tout le monde.
Aujourd’hui, vous ne pouvez pas vraiment faire de crédit onchain, car si quelqu’un ne rembourse pas, vous n’avez aucun recours.
Ce qui est intéressant, c’est qu’avec Zama et le FHE, on peut chiffrer l’identité de l’emprunteur, la sélectionner selon quelques critères (revenus, nationalité…), la stocker dans un smart contract, et ne la révéler qu’en cas de défaut. Cela signifie qu’on peut prêter à des gens sans connaître leur identité, tout en s’assurant qu’ils correspondent bien aux critères qu’on s’est fixés.
Comment ce système fonctionne-t-il concrètement ?
L’emprunteur fournit ses informations et prouve via Zama qu’il remplit les critères. S’il arrête de rembourser, le prêteur peut déchiffrer son identité.
On a commencé à en discuter avec certains protocoles de prêt comme Morpho. Nous sommes convaincus qu’il va se produire avec la crypto ce qu’on a vu avec les apps de messagerie : au début, personne ne voulait d’une app basée sur la confidentialité, et maintenant c’est la ruée.
Où en est Zama actuellement ? Vous avez lancé le testnet début juillet.
Oui, et les résultats sont conformes à nos attentes. Évidemment, tout ne se passe pas forcément comme prévu, il y a des ajustements à faire, mais globalement tout fonctionne. D’ici octobre, nous voulons stabiliser le testnet et lancer un premier mainnet sur Ethereum.
Ensuite, en novembre, nous passerons multichain : Base, BNB, Ethereum…
Y aura-t-il un token ?
Je ne peux rien confirmer à ce stade. Nous sommes focalisés sur le testnet, c’est le plus important.
Combien de personnes travaillent chez Zama actuellement ?
90 personnes, dont 40 PhD. Et avec la nouvelle levée de fonds que nous avons bouclée il y a quelques semaines, nous sommes très bien financés pour avancer.
Je suis confiant : nous avons vraiment craqué un gros problème. Pour moi, il n’y aura pas d’adoption massive de la blockchain sans confidentialité. Depuis l’arrivée de BlackRock en 2024 avec ses ETF, les choses s’accélèrent.
La traction est là, mais il reste ce frein majeur de la confidentialité, qui revient régulièrement - et c’est cela que nous avons envie de corriger pour permettre une accélération encore plus forte des entreprises.
Avant d’investir dans un produit, l’investisseur doit comprendre entièrement les risques et consulter ses propres conseillers juridiques, fiscaux, financiers et comptables.


