TRIBUNE. Capital B, Sequans… et après ? Les DAT françaises face au mur du financement

TRIBUNE. Capital B, Sequans… et après ? Les DAT françaises face au mur du financement

Des États-Unis à l'Europe, les Digital Asset Treasury Companies émergent telles des foncières numériques de nouvelle génération. L'enjeu désormais : Paris saura-t-elle capitaliser sur cette dynamique et devenir un véritable hub de financement, comme l'analyse Philippe Rodriguez, Managing Partner de la banque Avolta Partners.

Les Digital Asset Treasury Companies (DAT), ces entreprises cotées dont l’unique vocation est de constituer et gérer une trésorerie en actifs numériques comme Bitcoin ou Ethereum, sont aujourd’hui plus qu’un modèle atypique : elles incarnent une révolution financière. Reprises par MicroStrategy en 2020, elles se multiplient désormais à l’échelle mondiale.

À ce jour, plus de 250 sociétés cotées détiennent du Bitcoin en bilan, représentant environ 4 % de l’offre mondiale.

Collectivement, ces véhicules détiennent plus de 791 000 BTC et 1,3 million d’ETH, et ont levé plus de 15 milliards de dollars depuis le début de l’année, devançant les sommes investies dans le capital-risque crypto : selon plusieurs études, les investissements VC dans la crypto ont atteint 16,5 milliards de dollars au premier semestre 2025, un niveau record.

Cette tendance rappelle étrangement les sociétés foncières cotées, qui détiennent exclusivement des actifs immobiliers au bilan : les DAT appliquent la même logique, mais avec des réserves numériques. On ne peut d’ailleurs s’empêcher de penser aux premières banques centrales du XVIIIᵉ et du XIXᵉ siècle, dont la fonction principale était de conserver des réserves et d’émettre de la monnaie : un rôle miroir de ces nouvelles entités digitales.

Plusieurs types de DAT

Il faut également distinguer plusieurs types de DAT. Certaines concentrent exclusivement leurs bilans sur le Bitcoin, dans une logique de réserve digitale universelle. D’autres se positionnent en ETH-DAT, convaincues que l’écosystème Ethereum, avec ses revenus de staking et ses usages décentralisés, représente un actif de trésorerie d’avenir.

Enfin, il existe déjà des projets qui allouent des capitaux à des tokens plus exotiques et volatils - une stratégie beaucoup plus spéculative, et potentiellement risquée, qui questionne la légitimité même du modèle.

En France, si le phénomène reste embryonnaire, il existe déjà des figures notables. Capital B (ex-Blockchain Group) et Sequans figurent aujourd’hui parmi les 20 premiers acteurs mondiaux en matière de trésorerie crypto. La première s’est repositionnée sur Bitcoin, tandis que la seconde, spécialiste des semi-conducteurs, a surpris en allouant une part significative de ses réserves au BTC - des choix audacieux qui démontrent notre capacité hexagonale à rivaliser sur ces enjeux majeurs.

Ce modèle repose sur un triptyque de valeur très clair. Il permet d’abord aux investisseurs de parier sur d’une part la valorisation future des crypto-actifs via un instrument coté, mais d’autre part en augmentant  le nombre de cryptos par action.

Ensuite, face aux politiques monétaires expansives, il offre une couverture contre l’inflation, comparable à celle que pouvaient offrir autrefois des actifs réels ou même les velléités de stabilité des premières banques centrales.

Enfin, ces sociétés représentent un pont entre finance traditionnelle et actifs numériques, réduisant considérablement les frictions administratives et fiscales - on accède à Bitcoin ou Ethereum aussi simplement qu’à une action boursière classique, sans devoir gérer la garde, les wallets ou la complexité crypto.

Mais comment une DAT peut-elle concrètement augmenter le nombre de BTC par action au fil du temps ? La mécanique est simple. D’abord, en profitant du premium equity : lorsque son action s’échange au-dessus de la valeur de ses réserves nettes, la société peut émettre de nouvelles actions et lever plus de capitaux que la valeur intrinsèque de ses BTC, ce qui enrichit mécaniquement chaque actionnaire.

Ensuite, par l’usage du levier de dette : émissions obligataires ou convertibles permettent de financer des achats de Bitcoin sans dilution immédiate. Enfin, par tout procédé non ou peu dilutif - partenariats stratégiques, obligations convertibles en BTC - qui assure la croissance des réserves sans dégrader la valeur de chaque action existante.

Des risques concrets

Mais attention, ces opportunités s’accompagnent de risques concrets. Les actions DAT se négocient souvent à un premium equity, reflet de la confiance dans le management et sa capacité à déployer le capital efficacement.

Dans les phases de marché haussier, cela magnifie les rendements, mais en cas de retournement, ce premium s’évapore immédiatement, provoquant décote, ventes forcées et dilution douloureuse. Les DAT utilisant l’effet de levier sont particulièrement vulnérables : une chute brutale du Bitcoin ou de l’Ethereum peut fragiliser leur modèle financier, voire mettre en péril la continuité de l’entreprise. En France, avec un marché plus restreint et des volumes moindres, un tel choc pourrait avoir des effets décuplés.

Plusieurs barrières freinent aujourd’hui leur essor. Le premier obstacle demeure le manque d’investisseurs institutionnels et de gestionnaires d’actifs prêts à s’exposer à ce type de véhicules. Contraints par des règles prudentielles strictes, beaucoup hésitent encore à allouer des capitaux aux DAT, perçues comme trop spéculatives.

Le cadre réglementaire, via le statut PSAN, encadre bien les services d’échange et de conservation, mais il ne définit pas encore de base claire pour une holding cotée dont l’activité principale serait la détention d’actifs numériques.

Pourtant, le potentiel est tangible et quelques plateformes françaises emblématiques pourraient fédérer l’écosystème et gagner la confiance du marché.

Leur succès reposera sur quatre conditions, classées du plus accessible au plus complexe : en premier lieu, garantir un accès rapide aux marchés cotés, condition sine qua non pour attirer des capitaux significatifs.

Ensuite, déployer un fort pouvoir de communication pour convaincre retail et institutionnels, en incarnant une vision crypto claire et pédagogique. Vient ensuite l’exigence d’une expertise solide sur les sous-jacents - Bitcoin, Ethereum - indispensable pour gérer leur volatilité et identifier les opportunités de marché.

Enfin, bâtir des produits financiers performants - certificats, dérivés, notes structurées - pour que l’investissement dans une DAT devienne aussi fluide qu’un ETF. Cette expertise rare constituera notre avantage compétitif.

Ces conditions, bien que complexes à réunir, ne sont pas hors de portée. La France possède une épargne abondante, des investisseurs institutionnels puissants, un cadre réglementaire en pleine structuration et des entrepreneurs déjà actifs sur ces questions.

Si Capital B et Sequans ont ouvert la voie, d’autres pourraient suivre. À condition d’allier rigueur financière, innovation produit et pédagogie - les DAT françaises ont le potentiel pour devenir l’un des instruments financiers les plus symboliques de la prochaine décennie.

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