Evan Auyang (Animoca Brands) : "L'arrivée de l’Administration Trump fait des États-Unis une nouvelle priorité pour nous"

Très présent en Asie et également en Europe (The Sandbox notamment), Animoca Brands — le plus important fonds d'investissement Web3 avec 540 start-up en portefeuille — tourne désormais son regard vers les États-Unis où l'administration Trump est beaucoup plus “pro-crypto”. Dans une interview exclusive, son président Evan Auyang revient sur l'arrivée du nouveau président américain, ce que cela change pour le secteur et pour Animoca, ainsi que les tendances qui façonneront 2025.
The Big Whale : Le marché de la crypto et du Web3 semble connaître un tournant, notamment avec l'élection de Trump. Les deux dernières années ont été compliquées pour les startups crypto aux États-Unis, mais on observe un changement d'attitude. Quelle est votre perspective à ce sujet ?
Evan Auyang : Vous avez raison, le climat pour les entreprises crypto a été difficile aux États-Unis, surtout après des scandales comme celui de FTX, qui ont entraîné une réaction politique et réglementaire particulièrement hostile.
Cependant, l'arrivée de Trump à la présidence semble marquer un tournant.
Trump est un personnage pragmatique, et il comprend que le secteur crypto, et plus globalement le Web3, est là pour rester. Bitcoin et d'autres technologies blockchain sont désormais intégrés dans le système financier mondial. En tant que leader économique, les États-Unis ne peuvent se payer le luxe d'ignorer ces évolutions. Trump semble vouloir adopter une approche plus favorable à l'innovation, avec des nominations pro-crypto dans son administration et des politiques très volontaristes, à la fois sur la fiscalité, sur la capacité pour les banques de traiter des cryptos et même sur la réserve stratégique.
Cela dit, ce qui s'est passé avec les memecoins de la famille Trump montre que les choses ne seront pas forcément toutes évidentes. Outre le sujet de liquidité, car ces tokens ont attiré beaucoup d'argent, se pose forcément la question de la direction que l'Administration Trump va prendre.
Vous évoquez le « Trump » et le « Melania ». Quel est votre avis sur ces projets ? Quel est l'intérêt ?
Ces tokens ont suscité un vrai engouement, mais majoritairement parmi des investisseurs déjà actifs dans l'écosystème crypto. Peu de nouveaux venus ont été séduits par ces produits, et ceux qui sont arrivés ont souvent eu une première expérience négative. Les monnaies spéculatives comme celles-ci sont très volatiles et ne reflètent pas les fondamentaux du Web3.
À court terme, cela peut donner une image négative de l'industrie, mais à long terme, cela participe à la construction d'une infrastructure plus robuste. Le marché crypto reste jeune, et les leçons tirées de ces épisodes aideront à établir des normes plus solides, tant au niveau des projets que des régulations.
Le changement de position des États-Unis sur la crypto pourrait-il influencer l'Europe et l'Asie ?
Absolument. Même si l'Europe, avec des cadres comme le règlement MiCA, a pris de l'avance dans la régulation du secteur, les États-Unis restent une force majeure en termes de flux financiers et d'investissement. Si les États-Unis renforcent leur leadership dans la crypto, cela pourrait pousser d'autres régions à en faire de même, que ce soit d'un point de vue fiscal ou en termes de réglementation.
En Asie, des hubs comme Hong Kong et Singapour se positionnent déjà comme des leaders du Web3. Cependant, le rôle des États-Unis est crucial, car une grande partie des capitaux mondiaux provient d'investisseurs américains. Si les États-Unis adoptent une approche favorable, cela va créer une sorte d'appel d'air.
Est-ce que l'élection de Trump change votre stratégie ou vos priorités chez Animoca Brands ?
Pas dans notre modèle d'affaires, mais cela va influencer notre présence géographique.
Jusqu'à présent, nous étions prudents dans nos interactions avec le marché américain, en raison des incertitudes réglementaires. Avec une administration pro-crypto, les États-Unis deviennent un marché prioritaire pour nous. Nous envisageons d'étendre nos opérations dans le pays, que ce soit avec des bureaux physiques ou une présence renforcée.
Vous mentionnez une expansion aux États-Unis. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous étudions la possibilité d'ouvrir des bureaux à New York ou à Los Angeles. Los Angeles, en particulier, est un centre culturel important, ce qui en fait un choix naturel pour nos activités liées à la création. Nous avons déjà une présence avec notre filiale The Sandbox à Los Angeles, mais nous voulons renforcer nos opérations, notamment pour collaborer plus étroitement avec les acteurs locaux.
Cela ne signifie pas que nous réduirons notre engagement en Europe ou en Asie. Animoca Brands reste une entreprise globale, et nous continuerons à investir dans ces régions.
Animoca Brands semble être à un tournant stratégique important. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre nouvelle stratégie et ses trois piliers ?
Lorsque nous avons découvert la blockchain, notre hypothèse était que la prochaine grande vague des actifs numériques passerait par la propriété réelle de ces actifs dans les jeux vidéo. À l'époque de notre pivot, en pleine période de l'envolée des ICO (qui sont de retour, lire notre dossier), notre ADN de société de gaming nous a naturellement orientés vers les NFT et les jeux vidéo.
Avec une communauté mondiale de 3 milliards de gamers, il nous semblait évident que la création et la propriété des actifs numériques leur appartiendraient à terme.
Cependant, le secteur est devenu très spéculatif, et l'intérêt pour les NFT, bien qu'encore pertinent, s'est quelque peu contracté en raison des fluctuations des prix. Nous avons alors élargi notre approche, passant d'une entreprise focalisée sur le gaming à un écosystème Web3 global. Aujourd'hui, notre stratégie repose sur trois piliers : investissement, création de projets, et gestion d'actifs.
- Investissement : Nous avons investi dans plus de 500 entreprises, principalement dans les jeux et l'écosystème Web3, mais aussi dans d'autres secteurs émergents comme l'éducation, avec OpenCampus, et la réputation décentralisée via Mochaverse. Ces deux projets phares ne sont pas purement axés sur le gaming, mais jouent un rôle central dans notre écosystème.
- Création de projets : Nous développons des projets internes comme The Sandbox et des initiatives institutionnelles, notamment en collaboration avec Standard Chartered Bank et Hong Kong Telecom pour un projet de stablecoin.
- Gestion d'actifs : Nous accompagnons des projets depuis leur conception jusqu'à leur mise sur le marché et la gestion post-lancement, avec un focus sur la liquidité et la gestion financière.
Ces trois piliers travaillent en synergie pour solidifier notre position en tant que leader du Web3.
Avec un portefeuille aussi vaste, comment se porte l'ensemble de vos investissements ?
Avec plus de 500 entreprises dans notre portefeuille, il est naturel que toutes ne réussissent pas. Environ 20 d'entre elles n'ont pas atteint leurs objectifs, ce qui reste très marginal.
Nous utilisons notre approche diversifiée pour réorienter ou ajuster les entreprises qui en ont besoin. Certaines sociétés de gaming, par exemple, peinent à lancer des produits crédibles, mais nous collaborons étroitement avec elles pour les aider à pivoter et à évoluer. Cette flexibilité est la clé de notre succès.
Selon vous, quel est le meilleur moyen de combler le fossé entre l'économie traditionnelle et l'écosystème Web3 ?
Le gaming reste un point d'entrée essentiel. Nous croyons que les jeux Web2 migreront progressivement vers la blockchain, en mettant l'accent sur la propriété véritable des actifs numériques pour les joueurs. Cela dit, pour atteindre une adoption massive, nous devons nous éloigner de la spéculation et nous concentrer sur les applications concrètes.
Outre le gaming, nous explorons également les possibilités offertes par la finance décentralisée (DeFi), le DPin (Decentralized Physical Infrastructure Networks) et les stablecoins. Ces domaines offrent des cas d'usage concrets, comme l'optimisation des paiements transfrontaliers grâce à des systèmes plus efficaces que la banque traditionnelle.
En parlant de diversification, avez-vous des investissements dans l'intelligence artificielle (IA) ?
L'intersection entre IA et Web3 est un domaine passionnant pour nous. Nous voyons un énorme potentiel dans les agents IA pour améliorer l'expérience des joueurs, transformer les jeux en sports spectateurs, et même optimiser les stratégies DeFi. Nous avons déjà investi dans plusieurs projets liés à l'IA, mais certains partenariats sont encore confidentiels. Attendez-vous à des annonces importantes prochainement !
Et qu'en est-il du métavers ? Est-ce toujours une priorité pour Animoca Brands ?
Pour nous, le métavers représente un espace où les gens passent du temps et interagissent avec des écosystèmes numériques. Cependant, notre priorité reste la propriété numérique. Nous ne cherchons pas à construire un métavers en tant que tel, mais à encourager son adoption via des applications. Par exemple, The Sandbox joue un rôle clé en tant qu'écosystème gaming, mais ce n'est qu'un élément de notre vision globale.
Enfin, quelles seront vos priorités pour 2025 ?
En 2025, nous continuerons à innover et à soutenir nos projets phares, notamment Mochaverse, OpenCampus et The Sandbox. Nous voulons également solidifier notre pilier de conseil et explorer des domaines qui pourraient transformer l'industrie.
L'IA reste un axe clé, et plusieurs projets innovants sont en cours de développement, avec des annonces prévues prochainement. Notre objectif est de rester à l'avant-garde de l'écosystème Web3 tout en créant des solutions concrètes pour ses utilisateurs.
Avant d’investir dans un produit, l’investisseur doit comprendre entièrement les risques et consulter ses propres conseillers juridiques, fiscaux, financiers et comptables.

