Thomas Klocanas (BlockTower) : “L'arrivée de Trump a tout changé pour la crypto aux Etats-Unis”

Thomas Klocanas (BlockTower) : “L'arrivée de Trump a tout changé pour la crypto aux Etats-Unis”

Installé à New York depuis 2017, Thomas Klocanas est l'un des investisseurs européens qui connaît le mieux l'écosystème crypto américain. Nous l'avons rencontré sur place pour parler des projets locaux et de l'impact de l'élection de Donald Trump.

The Big Whale : Avant de parler de l'élection de Trump, parlons de vous. Vous faites partie des premiers Européens qui se sont installés à New York pour la crypto. Pourquoi ?

J'ai débuté ma carrière en fusion et acquisition juste après la crise des subprimes de 2008. J'ai travaillé dans plusieurs grandes banques à Londres et, à l'époque, je m'intéressais aux cryptos, mais c'est en arrivant à New York en 2017 que je suis passé à plein temps sur le sujet. C'était juste avant le boom des ICO.

À l'époque, la crypto ne pesait vraiment pas grand-chose. À New York, il y avait quelques entreprises comme Circle et Consensus, mais globalement il n'y avait pas grand-chose, et surtout il n'y avait aucun fonds VC crypto. C'est d'ailleurs pour cette raison que les ICO sont nées et ont explosé : les premiers projets crypto n'ont pas été financés par les VC, mais par les particuliers.

Pourquoi avoir choisi New York plutôt que Miami pour lancer votre fonds ?

Thomas : J'aurais pu lancer le fonds VC de BlockTower à Miami, mais mon travail est d'être en contact avec les entrepreneurs. Il y a beaucoup d'asset managers crypto qui sont partis à Miami — Jake de Coinfund, Nick Carter de Castle Island, Shan Aggarwal de Coinbase — mais les start-ups n'ont pas tant bougé que cela.

En tant qu'investisseur, je dois gérer à la fois nos investisseurs et aussi être en contact avec les start-ups, et ces dernières sont toutes ici ou passent par ici.

TBW : Parlons de votre fonds, comment se porte-t-il ?

Nous avons levé 150 millions de dollars fin 2021 et à date nous avons déployé environ 40 % du fonds. Nous avons été prudents en 2022 quand les valorisations étaient élevées, puis plus actifs l'année dernière avec des investissements dans Ethena, Morpho, Maple et Centrifuge.

Nous investissons des tickets entre 500 000 dollars et plusieurs millions de dollars, avec une équipe mondiale et des venture partners stratégiquement positionnés en Asie et en Europe.

Vous venez d'annoncer une sorte de fusion avec Arca. Pourquoi ? Vous étiez en difficultés ? L'union fait la force ?

Arca est un très bon gestionnaire d'actifs numériques et cela a du sens de fusionner nos activités pour grandir dans un environnement qui va être de plus en plus concurrentiel.

En parlant de concurrence, on voit de plus en plus d'acteurs majeurs s'installer à New York. Qu'est-ce qui a changé ?

Oui c'est vrai, que ce soit les fonds comme Variant, Archetype ou les entreprises comme Coinbase ou Aptos, tous ont ouvert des bureaux ici. Je pense que New York est aujourd'hui la seule ville au monde où vous trouvez une telle densité de projets.

Comment New York est-elle devenue la capitale de la crypto aux États-Unis ?

Après le COVID, beaucoup pensaient que New York allait être totalement distancée par Miami, Austin ou San Francisco. Mais l'écosystème est revenu ici très rapidement pour 3 raisons :

D'abord parce que New York est la capitale financière mondiale avec Wall Street.

Puis parce que c'est le deuxième écosystème VC des États-Unis après San Francisco, et même le numéro un dans la crypto et la fintech.

Enfin, parce qu'il y a une densité unique d'entrepreneurs et d'investisseurs. Dans un business early stage où le contact humain est crucial, c'est un avantage décisif.

Le corollaire de cela, c'est que la vie à New York est extrêmement chère…

Oui, tout est très cher, le logement, la vie du quotidien. Mais c'est presque un avantage parce qu'ici, soit vous réussissez, soit vous échouez. C'est le principe du modèle américain et il est encore plus exacerbé à New York.

Cette culture du « move fast » contraste énormément avec l'Europe, où la pression sur les gens est beaucoup moins forte. Aux États-Unis, si vous ne délivrez pas, on va assez vite vous montrer la porte.

Quelles sont les tendances actuelles de la scène crypto à New York ?

Il y a deux grandes tendances avec les projets qu'on pourrait dire « consumer », souvent basés sur des collections de NFTs, et ceux qui touchent aux infrastructures financières et à la tokenisation.

Quelles sont vos principales thèses d'investissement ?

Chez BlockTower, nous adoptons une approche différente de nombreux VC crypto. Alors que certains se concentrent sur les projets « liquides », c'est-à-dire dans lesquels ils vont rapidement pouvoir revendre, nous recherchons des entreprises qui seront encore là dans 5 ans.

En crypto, il y a souvent une obsession pour la nouveauté, mais nous refusons intentionnellement les deals qui pourraient bien fonctionner à court terme s'ils ne correspondent pas à notre vision à long terme.

Une de nos convictions par exemple est que la prochaine génération de licornes crypto ne sera pas composée d'entreprises SaaS traditionnelles comme on en voit depuis 20 ans, mais plutôt d'entreprises qui possèdent leur stack technologique et financière, avec l'IA comme facilitateur clé.

C'est particulièrement pertinent pour la crypto puisque la plupart des projets réussis dans notre univers ont essentiellement été des entreprises de services financiers.

Sur quels thèmes spécifiques vous concentrez-vous ?

Nous avons été très actifs dans la thèse RWA (Real World Assets), en nous concentrant plus sur les acteurs du marché que sur les protocoles d'émission.

Nous nous intéressons aux credit default swaps, aux pratiques d'assurance, au KYC et aux entreprises du marché secondaire. De ce point de vue-là, l'arrivée de BlackRock a été un énorme changement.

L'autre thème que j'aime beaucoup, c'est celui concernant les stablecoins. Il y a un an, les stablecoins n'étaient que des instruments de trading, mais maintenant nous voyons des entreprises réaliser des centaines de millions de volumes de paiement mensuels via des cartes de débit et des transferts d'argent.

Avez-vous des exemples concrets de ces tendances ?

Un excellent exemple de cette tendance est la start-up Blackbird, fondée par l'équipe derrière Resy, la plateforme de réservation de restaurants rachetée par Amex.

Blackbird est une plateforme de restaurants qui utilise la blockchain sans que les utilisateurs ne s'en rendent compte. Quand vous allez à un restaurant, vous scannez un code et vous gagnez des « fly tokens » comme des points de fidélité, que vous pouvez dépenser dans n'importe quel restaurant Blackbird.

C'est ce que nous appelons un cheval de Troie Web3, c'est-à-dire avec une infrastructure crypto, mais une expérience utilisateur Web2 très fluide.

Nous avons aussi investi dans TYB, qui fait un peu la même chose avec des marques comme Nike ou Estée Lauder. TYB est une plateforme qui les aide à gamifier l'engagement client.

Quand les clients accomplissent des missions comme poster sur les réseaux sociaux avec des hashtags spécifiques, ils gagnent des tokens — qui sont en réalité des tokens ERC20 sur la blockchain Avalanche.

Quelles sont les différences entre les États-Unis et l'Europe dans le Web3 ?

Il y en a beaucoup, mais l'une des principales est la différence culturelle. Les Américains apprennent dès leur plus jeune âge à voir plus grand. C'est comme la différence entre un match de sport européen et un match de basketball NBA au Madison Square Garden — tout ici est plus spectaculaire, plus ambitieux, en fait il n'y a pas trop de limites. Le concept de « ce n'est pas possible » n'existe pas.

En parlant de choses qui semblaient impossibles : Donald Trump a finalement largement remporté une élection qui semblait, au moins vue d'Europe, acquise à Kamala Harris. Quel impact sur New York et les États-Unis ?

C'est évidemment un événement majeur et on l'a vu ces dernières semaines avec l'envolée des cours. On ne sait pas encore concrètement ce que Trump va mettre en place, mais son arrivée est en train de tout changer.

On ne s'en rendait pas forcément compte vu d'Europe, mais les contraintes sur le secteur ont été assez fortes. La SEC faisait vraiment peur à beaucoup de projets, à tel point qu'on a vu des démocrates dans la crypto commencer à se dire qu'ils allaient peut-être voter Trump, et je vous parle de gens à New York qui est une ville historiquement démocrate.

Depuis l'élection de Trump, on sent un vrai engouement, une vraie accélération de la part des acteurs de la finance traditionnelle. Observez-vous la même chose ?

La convergence était déjà à l'œuvre, mais c'est vrai que les choses s'accélèrent. On voit de plus en plus de projets portés par des BlackRock, Franklin Templeton, Fidelity et pour des sommes considérables. Plus rien ne sera jamais comme avant.

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